Il y a dix ans, la perspective que deux Canadiens s'affrontent en demi-finale d'un Masters de tennis, catégorie de tournois la plus relevée de la saison après les quatre volets du Grand Chelem, aurait été ridicule.

Sur tous les plans - financement, installations, encadrement -, le Canada accusait un retard gigantesque par rapport aux pays au sommet du tennis international. Rappelez-vous: une victoire d'un des nôtres en première ronde d'une compétition de la qualité de la Coupe Rogers représentait un véritable exploit!

Cette époque est terminée. Lorsqu'ils se présenteront sur le court central du stade Uniprix, cet après-midi, Milos Raonic et Vasek Pospisil propulseront le tennis canadien dans une nouvelle ère. Désormais, avec de tels modèles de réussite, tous les espoirs sont permis pour la génération montante.

Le succès des deux jeunes joueurs confère une dimension nouvelle à leur carrière. Ils font le plein de points ATP, ceux qui font gravir les échelons du classement mondial, gagnent en confiance et touchent des bourses conséquentes. «J'ai du mal à me rendre compte, c'est vraiment fabuleux...», a dit Pospisil.

Ce tournant décisif valide les orientations adoptées par Tennis Canada en 2004, lorsque les fondations de cette relance ont été coulées. «On est dans une business de résultats, dit Michael Downey. Essayer fort ne suffit pas...»

Ancien employé des Raptors de Toronto et des Brasseries Molson, Michael Downey est président de Tennis Canada depuis neuf ans. La veille de son entrevue d'embauche, il a acheté un magazine de tennis pour savoir qui était le premier joueur mondial et saisir en quoi consiste la Coupe Davis!

«Heureusement, les membres du conseil d'administration ont compris que le futur président n'avait pas besoin d'un solide coup de revers...», dit-il en souriant.

Tennis Canada était plutôt à la recherche d'un gestionnaire capable de transformer l'organisation, de la faire passer du statut de gentille fédération sportive aux objectifs plus ou moins clairs à celui de machine ambitieuse capable de recueillir des fonds et de mettre sur pied de véritables programmes de développement.

Ce changement de philosophie a été amorcé par Jack Graham, un avocat de Halifax, alors président du conseil d'administration. «C'est lui qui a poussé l'idée de soutenir vigoureusement l'élite», explique John LeBoutillier, un avocat de Montréal qui occupe aujourd'hui ce poste après avoir été responsable du comité des finances.

Sous l'impulsion du duo Graham-Downey, un vent de changement a balayé Tennis Canada. L'organisme serait désormais dirigé à la manière d'une entreprise.

Aujourd'hui, par exemple, les employés ont droit à des bonis annuels s'ils atteignent les objectifs de leur secteur. C'est vrai pour les entraîneurs, mais aussi pour les membres de l'administration.

Downey a aussi brisé les barrières entre les différentes composantes de l'organisme. «On devait mettre fin à ces silos et s'assurer que tout le monde travaille en coopération.»

Au-delà de cette réorientation administrative, une étape essentielle a été franchie avec le recrutement de Louis Borfiga au poste de directeur du développement de l'élite.

«Dès son arrivée, Louis nous a dit que des terrains de terre battue étaient nécessaires pour développer les habiletés des joueurs, rappelle John LeBoutillier. Pour lui, il s'agissait d'un outil essentiel.»

Aujourd'hui, les jeunes joueurs d'élite s'entraînent douze mois par année sur ces nouveaux terrains, bâtis au deuxième étage du stade Uniprix.

L'ensemble du projet, qui a donné ses lettres de noblesse au Centre national d'entraînement de Montréal, a été réalisé au coût de 13 millions, notamment grâce à une injection de 9 millions de fonds publics.

Bien sûr, Tennis Canada a encore beaucoup de défis à relever. Pour dénicher les joueurs qui alimenteront bientôt l'élite, il faut stimuler la pratique du tennis, une tâche considérable dans un pays aux longs hivers. Les complexes intérieurs ne sont guère nombreux au Canada et sont surtout regroupés à Montréal, Toronto et Vancouver.

Il faudra aussi récolter encore plus d'argent afin de soutenir nos meilleurs joueurs. Si on souhaite que Milos Raonic, Vasek Pospisil et Eugenie Bouchard luttent à armes égales contre les meilleurs au monde, ils devront profiter d'un encadrement aussi complet: entraîneurs, physiothérapeutes, nutritionnistes...

John LeBoutillier ne le cache pas. Il aimerait trouver un mécène disposé à appuyer financièrement Eugenie Bouchard. «J'ai quelques personnes en vue...», dit-il.

Alors, à quoi s'attendre aujourd'hui? Le match s'annonce serré. Compte tenu de son classement, Raonic est évidemment le favori. Mais Pospisil a fait preuve d'aptitudes exceptionnelles, cette semaine. L'énergie du public semble aussi l'alimenter.

Mais peu importe le résultat de l'affrontement. Leur participation à cette demi-finale constitue déjà une grande victoire. Pour la première fois de l'ère moderne, un Canadien est assuré de participer à la finale.

Lorsque les deux rivaux se présenteront sur le court, il faudra se souvenir d'une chose: lors de leur dernier affrontement, en juillet 2010 aux États-Unis, Raonic occupait le 267e rang mondial et Pospisil, le 311e! La progression est phénoménale.

Pour tous les entraîneurs et le personnel du Centre national d'entraînement de Montréal qui ont contribué au développement des deux joueurs, il s'agira d'un très grand moment.

On les comprendra de sourire de satisfaction lorsque le premier échange s'amorcera. Le chemin parcouru est immense.