L'absence d'ambition. Voilà ce qui a étonné Louis Borfiga, il y a sept ans, lorsqu'il a débarqué à Montréal comme nouveau responsable du développement de l'élite à Tennis Canada.

«Ça m'a frappé à mon arrivée, rappelle-t-il. Les joueurs espéraient simplement faire un beau match... On devait travailler là-dessus. Il fallait inculquer l'esprit conquérant.»

L'esprit conquérant!

Peut-on trouver plus jolie expression pour définir la révolution qui secoue le tennis canadien? Et, en particulier, l'extraordinaire journée d'hier, marquée par les victoires de Vasek Pospisil et Milos Raonic, tombeurs des sixième et septième meilleurs joueurs mondiaux?

L'esprit conquérant, c'est Pospisil qui, porté par l'enthousiasme de la foule, remporte le set décisif au bris d'égalité après un passage à vide à la manche précédente.

L'esprit conquérant, c'est Raonic qui, malgré un malaise au bras et l'impatience de son rival face aux décisions des arbitres, conserve sa concentration et vole vers la victoire.

Des joueurs canadiens intraitables sur le terrain, sans complexe face aux meilleurs de leur profession, c'est une avancée historique.

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Plus tôt dans la journée, avant les exploits de Pospisil et Raonic, j'ai retrouvé Borfiga dans un petit bureau du stade Uniprix. Discuter de tennis avec cet homme aux yeux vifs, passionné par son sport, est toujours stimulant.

Je l'avais rencontré une première fois en 2011. À l'époque, il m'avait fait une prédiction: «Un jour, Milos Raonic remportera un tournoi du Grand Chelem.»

Borfiga avait lancé la phrase avec une telle conviction que ça ressemblait presque à une promesse.

Malgré sa belle victoire d'hier, Raonic ne connaît pas une saison à la hauteur de ses attentes. Plus tôt cette année, il a changé d'entraîneur dans l'espoir de franchir l'étape qui, espère-t-il, lui vaudra une place au sein du top 10. Le Croate Ivan Ljubicic, ancien troisième joueur mondial, l'accompagne maintenant sur le circuit.

Borfiga, qui a encadré Raonic durant son séjour au Centre national d'entraînement de Montréal, demeure très près du meilleur joueur canadien. Et sa confiance envers lui est toujours aussi vive.

«On oublie trop souvent que Milos n'a que 22 ans, dit-il. On ne retrouve aucun joueur aussi jeune dans les 10 meilleurs au monde. Que Milos occupe le 13e rang à cet âge représente une très belle évolution. Il y a deux ans, si on nous avait dit qu'il en serait là aujourd'hui, on aurait signé tout de suite!»

Le classement des top 10 donne raison à Borfiga. Âgé de 24 ans, Juan Martin del Potro est le benjamin du groupe. On retrouve ensuite Djokovic et Murray, qui ont tous deux 26 ans. Les sept autres ont 27 ans et plus.

«Milos a encore quatre ans pour atteindre son sommet, ajoute Borfiga. Sa trajectoire a toujours été ascendante. J'en ai longuement parlé avec Ivan Ljubicic. Nous, on sait qu'il est normal de connaître un léger arrêt, peut-être même de descendre un peu, avant de remonter et de se stabiliser. À l'exception de Federer et Nadal, c'est comme ça dans toutes les carrières.»

Avec ses balles de feu au sevice et la puissance de son coup droit, Raonic s'est vite imposé sur le circuit professionnel. Mais briller parmi l'élite du tennis est un défi redoutable. Et le seul talent n'est pas suffisant.

«Il faut laisser aux jeunes joueurs doués le temps d'acquérir de la maturité, ajoute Borfiga. Les attentes du public et des commanditaires sont lourdes à porter. En vieillissant, ils apprennent à prendre un peu de recul sur les choses.»

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Vasek Pospisil est la révélation du tournoi. «Il est en feu», a reconnu le Tchèque Tomas Berdych, un peu surpris d'avoir perdu contre un joueur qu'il connaissait à peine.

Borfiga n'est pas étonné des succès de son protégé. «Sur le terrain, Vasek est un grand combattant. Il possède un excellent service et son jeu est complet. Laissons-le atteindre le top 50, on verra par la suite...»

S'il continue sur cette lancée, Pospisil atteindra bientôt cet objectif. Le tennis canadien pourra se réjouir de cette autre réussite. Car développer des joueurs de qualité est un lourd défi.

Même un pays avec des ressources aussi importantes que les États-Unis éprouve des ennuis à ce chapitre. La semaine prochaine, lorsque l'ATP publiera son nouveau classement, aucun Américain ne figurera parmi les 20 premiers au monde, du jamais vu en 40 ans!

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Impossible de quitter Louis Borfiga sans parler d'Eugenie Bouchard. Lorsque je lui demande si elle peut aussi remporter un tournoi du Grand Chelem, il rétorque simplement: «Pourquoi pas? Attendons un peu pour voir son évolution, mais ses progrès depuis deux ans sont assez impressionnants.»

Borfiga apprécie son «tennis moderne», avec des balles frappées très tôt pour mettre la pression sur l'adversaire.

«L'autre grande qualité d'Eugenie, c'est qu'elle aime jouer sur les grands courts, dit-il. C'est très important pour faire une grosse carrière. Cet été, lorsqu'elle est entrée sur le central de Wimbledon, elle a battu la 12e mondiale. C'est un signe. Car fouler le central de Wimbledon lorsqu'on est jeune, c'est terrible.»

C'est aussi ça, l'esprit conquérant.