Au Brésil, la journée de samedi dernier devait marquer le lancement d'une belle et longue fête du sport. Ce jour-là, la Coupe des Confédérations s'est amorcée, prélude à la Coupe du monde de football de 2014 et aux Jeux olympiques de 2016.

À la surprise des dirigeants du pays, convaincus que le peuple reconnaissant oublierait ses soucis quotidiens en applaudissant les champions du ballon rond, cet ambitieux programme s'est transformé en source de colère.

À Rio de Janeiro, à Sao Paolo et dans plusieurs autres villes, des dizaines de milliers de manifestants ont pris la rue pour réclamer plus de justice sociale. Les coûts astronomiques de ces événements sportifs, qui devaient consacrer l'émergence du Brésil sur la scène internationale, sont devenus un symbole d'iniquité.

L'affaire a commencé de manière anodine, lorsque le coût des tickets d'autobus a été augmenté, notamment à Sao Paolo. Cette décision a été perçue comme un signe du cynisme des autorités. Comment ose-t-on hausser les tarifs d'un service souvent déficient, au moment où des sommes extravagantes sont investies pour construire et moderniser des stades?

Depuis lundi, les images de citoyens brésiliens exigeant une répartition plus équilibrée de la richesse font le tour du monde.

Le cri du coeur d'une avocate de 24 ans, rapporté par l'AFP, résume le dégoût des manifestants: «Je suis ici pour montrer que le Brésil, ce n'est pas seulement le football ou la fête. Il y a d'autres préoccupations comme le manque d'investissements dans des secteurs vraiment importants comme la santé et l'éducation.»

Dès 2011, la tenue de la Coupe du monde au Brésil a entraîné une controverse. Non seulement la facture s'annonçait-elle salée pour un événement d'un mois, mais encore plusieurs Brésiliens ont reproché à leur gouvernement de céder à la FIFA (Fédération internationale de football) sa souveraineté sur des enjeux sociaux importants.

Ainsi, la FIFA a exigé que la vente de bière soit permise dans les stades durant le tournoi, une pratique interdite dans ce pays. Le coût des billets - la FIFA voulait empêcher la traditionnelle vente à rabais pour les étudiants et les aînés - a aussi causé du ressentiment. Des compromis ont été trouvés, mais non sans difficulté.

Aujourd'hui, l'explosion du coût des installations nécessaires à la présentation de la Coupe du monde et, par extension, des Jeux olympiques suscite la grogne.

Le gouvernement brésilien doit maintenant gérer ce mécontentement, qui cache assurément un malaise plus profond au sein de la société.

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Les dirigeants des organismes mondiaux de sport, comme la FIFA et le CIO (Comité international olympique), auraient tort de croire que les événements des derniers jours représentent un problème uniquement brésilien.

La réaction des manifestants constitue plutôt l'expression d'un ras-le-bol grandissant à travers le monde face aux coûts excessifs des grands événements sportifs.

Pour des raisons économiques, environnementales et éthiques, ces projets, qui vont chercher toujours plus profondément dans les poches des contribuables, suscitent aujourd'hui la méfiance.

Voilà pourquoi, en mars dernier, les habitants du canton des Grisons, en Suisse, ont rejeté par référendum une candidature à l'obtention des Jeux olympiques d'hiver de 2022.

Ce vote est survenu dans les jours qui ont suivi l'annonce que les Jeux de Sotchi, en février prochain, coûteraient 50 milliards!

Jacques Rogge, président du CIO, ne s'est pas inquiété de l'impact de cette révélation sur le goût d'autres villes de soumettre un jour une candidature olympique. Il a plutôt noté que les nouvelles infrastructures profiteraient à «plusieurs générations», encourageant les gens à analyser les choses «avec perspective».

Ironiquement, c'est peut-être ce qu'ont fait les Brésiliens ayant pris la rue. Sauf que leur «perspective» n'est pas la même que celle des élites du sport mondial.

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L'appétit des dirigeants sportifs mondiaux pour des infrastructures de pointe, et les revenus s'y rapportant, demeure insatiable.

Résultat, les pays prêts à dépenser des sommes colossales pour accueillir ces prestigieux rendez-vous obtiennent satisfaction.

Des exemples? À compter de 2014, la Russie présentera un Grand Prix de Formule 1, une entente de 7 ans au coût de 500 millions, en comptant la construction du circuit à Sotchi.

La Russie sera aussi l'hôte de la Coupe du monde de football de 2018. La semaine dernière, le premier ministre Medvedev a estimé les coûts à 20 milliards, le double de la prévision initiale. Et le premier match n'aura lieu que dans cinq ans...

En 2022, cette compétition sera présentée au Qatar. Fera-t-elle l'histoire? Au niveau de la facture, aucun doute là-dessus! Il s'agira de l'événement sportif le plus dispendieux jamais vu, au bas mot 95 milliards pour construire des stades, des hôtels, des routes, un aéroport...

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En Russie et au Qatar, les citoyens opposés à ces initiatives n'envahiront sans doute pas la rue pour dénoncer ces dépenses somptuaires.

Au Brésil, où 15 milliards sont investis pour présenter la Coupe du monde, ils se font entendre.

Souhaitons que ces manifestations n'entraînent pas de nouvelles violences. Mais qu'à terme, elles provoquent au sein des autorités sportives une réflexion sur les coûts étourdissants de ces grands événements.

Sources: New York Times, Le Monde, Associated Press