Imaginez: une course en raquettes de six étapes entre Québec et Montréal, 300 kilomètres dans le froid et la poudrerie. Avec un dernier tronçon menant de la ville de L'Assomption au Centre Bell, où les concurrents franchiraient le fil d'arrivée devant des gradins bondés.

Loufoque, dites-vous? Eh bien non! En février 1930, pareil événement a véritablement eu lieu, l'arrivée étant bien sûr jugée au Forum, où la glace fut recouverte de neige.

Le vainqueur, acclamé par 75 000 personnes massées le long du parcours pendant qu'il fonçait vers le centre-ville, était un célèbre athlète du Québec, Édouard Fabre. Quinze ans plus tôt, il était devenu le premier Canadien français, comme on disait alors, à remporter le Marathon de Boston.

Lorsque Fabre entra dans le Forum, le public lui réserva une ovation. «Visiblement harassé, fourbu, brûlé par le vent et le soleil, ayant perdu vingt-trois livres au cours de la course, souffrant des deux pieds garnis d'ampoules, Fabre courut le dernier tour apparemment juste capable de se tenir sur les pieds», rapportèrent les journaux.

Le promoteur de l'épreuve, Armand Vincent, était un type original, doté d'un formidable réseau de contacts en Europe et aux États-Unis, une réussite inusitée pour un Québécois durant l'entre-deux-guerres.

Cette histoire fabuleuse est racontée dans un livre intitulé Dictionnaire des grands oubliés du sport au Québec. Publié aux Éditions Septentrion, une maison dont l'intérêt pour l'histoire est bien connu, cet extraordinaire ouvrage raconte la vie de 155 personnes ayant marqué l'histoire sportive du Québec de 1850 à 1950.

Gilles Janson, titulaire d'une maîtrise en histoire de l'Université du Québec à Montréal, a dirigé ce projet colossal. Ses 25 collaborateurs et lui ont rédigé ces biographies captivantes, qui nous font découvrir des personnages hors du commun.

«On s'est intéressé aux athlètes, mais aussi à des administrateurs, des promoteurs et des journalistes, explique-t-il. Nos personnalités ont été des têtes d'affiche à leur époque. On parlait beaucoup d'elles dans les journaux. Elles ont brillé avant l'avènement de la télévision.»

Les auteurs de ces biographies, parmi eux mes collègues de La Presse Alexandre Pratt et Daniel Lemay, se passionnent pour l'histoire du sport.

«Nous avons dû faire un choix parmi toutes les suggestions du groupe, ajoute Gilles Janson. Richard Pound, par exemple, nous a soumis une trentaine de noms! Et il signe sept des textes du livre.»

Pound, ancien vice-président du Comité international olympique (CIO), nous fait notamment découvrir le parcours de Sidney Dawes, un diplômé de l'Université McGill décoré de la Croix militaire pour son courage durant la Première Guerre mondiale.

Fervent de ski, Dawes contribua à l'éclosion du Centre du Mont-Sainte-Anne. Et il tenta en vain de convaincre le gouvernement du Québec d'exploiter le potentiel du mont Tremblant! Premier président du Comité olympique canadien, il devint membre du CIO en 1947.

À l'époque, sa nomination était inusitée. Le CIO choisissait habituellement comme représentants du Canada des expatriés établis en Europe, et surtout à Londres! Ce n'est qu'après les Jeux de Montréal, en 1976, que cette pratique changea.

Le livre regorge d'histoires émouvantes. Le parcours de Marcel Rainville, un garçon frêle que rien ne prédisposait au sport, en fournit un bel exemple.

Né d'un père poète et juriste, il choisit le tennis pour demeurer en santé après avoir été inquiété par la tuberculose. Tête d'affiche du club du parc La Fontaine, il défendit plus tard les couleurs canadiennes à la Coupe Davis.

En 1935, Rainville participa aux tournois de Roland-Garros et de Wimbledon où, «manque de chance, il rencontre au premier match Fred Perry, le meilleur joueur au monde à l'époque», écrit Gilles Janson.

Si ce dernier a été touché par le parcours de Rainville, c'est aussi en raison de ses écrits. Le tennisman, avocat comme son père, a rédigé des chroniques dans Le Quartier latin, La Patrie et La Presse. «Plus j'avance dans la vie, plus il semble qu'il n'y a qu'une chose qui compte: arracher à cette vie tout ce qu'elle a de bon...», écrira-t-il un jour.

En 1949, à l'âge de 46 ans, Marcel Rainville se suicide. Le rapport du coroner, consulté par Gilles Janson, conclut à «un moment de folie».

Le Dictionnaire - un terme froid pour désigner un ouvrage racontant de si riches destins - nous rappelle que des précurseurs ont pavé la voie aux vedettes d'aujourd'hui.

Ainsi, qui sait qu'une jeune femme nommée Pauline Gadbois fut une redoutable joueuse de tennis? Et que son mariage en 1933 fit la «manchette de la chronique mondaine» ?

Ou que Patricia Paré, une championne de ski, était qualifiée pour les Jeux olympiques de 1940, annulés en raison de la guerre?

Ou que Joseph Cattarinich, un gars de Québec parlant à peine l'anglais, devint propriétaire du Canadien en compagnie de Léo Dandurand et mourut millionnaire à La Nouvelle-Orléans?

Le sport fait partie de notre culture. Voilà pourquoi le travail de Gilles Janson et son groupe, entrepris à la suite d'une suggestion de l'historien sportif émérite Donald Guay, mérite d'être salué.

Suffit d'ouvrir au hasard une page du Dictionnaire pour découvrir un épisode passionnant de notre passé.

Dictionnaire des grands oubliés du sport au Québec (1850-1950), sous la direction de Gilles Janson (assisté de Paul Foisy et Serge Gaudreau), Éditions Septentrion, 446 pages.