Il y a 20 ans aujourd'hui, Jacques Demers était rayonnant en se rendant au travail. La veille, dans un Forum survolté, le Canadien avait éliminé les Islanders de New York et mérité sa place en finale de la Coupe Stanley.

Dans les derniers instants du match, la foule avait ovationné ses favoris. On aurait cru que les murs du vieil édifice tremblaient.

Pour Demers, le moment était magique. Malgré ses succès derrière le banc, il n'avait jamais atteint l'ultime ronde éliminatoire. Réussir cet exploit à la tête du Canadien, l'équipe de «sa» ville, était un accomplissement extraordinaire.

La présence des Glorieux en finale constituait une surprise, surtout après qu'ils eurent accusé un déficit de deux matchs à zéro dans leur série contre les Nordiques de Québec, un mois plus tôt.

«Qui veut partir en vacances pendant quatre mois, tabarouette?», avait alors lancé Demers.

«Dire qu'il y a des travailleurs qui n'ont qu'une semaine de congé après dix ans de service! On n'a pas le droit de faire ça à nos partisans. On a des responsabilités envers eux.»

Tout Demers se résumait dans cette remarque venue droit du coeur. Issu d'un milieu pauvre, confronté à de lourdes responsabilités dès l'adolescence, il était conscient de sa chance dans la vie. Il n'oubliait jamais les fans du Canadien, surtout ceux ne possédant ni les moyens, ni les relations pour entrer au Forum.

Lorsqu'un joueur grassement payé ne se donnait pas à fond, il le ressentait comme un affront envers les gens peinant à joindre les deux bouts. Sa colère trouvait sa source dans les épisodes difficiles de sa jeunesse.

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Plus tôt cette semaine, lorsque j'ai parlé à Demers, j'ai senti cette même exaspération.

Cette fois, ce n'est pas le rendement d'un club de hockey qui heurte son sens inné des responsabilités et de l'équité. Mais plutôt le mépris envers la population de ses collègues sénateurs Mike Duffy, qui a empoché 90 000$ en allocations de logement loufoques, et Pamela Wallin, qui a remis des comptes de dépenses exubérants.

«Je suis entré au Sénat sans expérience politique ni grande scolarité, rappelle-t-il. Mon but, c'est de défendre les intérêts des personnes au seuil de la pauvreté. Alors lorsque je vois des gens abuser du système, je ne peux pas l'accepter.»

Jacques Demers est sénateur depuis bientôt quatre ans. Comme bien d'autres, j'ai été étonné qu'il accepte l'invitation du premier ministre Harper à joindre cette institution archaïque et ne servant aucun rôle essentiel dans notre démocratie. D'autant plus que sa carrière d'analyste de hockey était florissante.

Mais le Sénat compte certains membres au parcours intéressant et il était fier de se joindre à eux. Il n'a pas été insensible à cette reconnaissance, lui qui a dévoilé en 2005, dans une captivante biographie du journaliste Mario Leclerc, son analphabétisme fonctionnel.

Le jour de sa nomination, il avait expliqué à RDS: «J'ai travaillé tellement fort afin d'améliorer mon écriture et ma lecture. Soudainement, on me nomme sénateur. C'est incroyable. J'espère servir d'exemple pour des gens ayant beaucoup de difficulté».

Aujourd'hui, les écarts de certains de ses collègues le rebutent. «Partout où je vais, les gens me demandent ce qui se passe avec le Sénat...»

Demers veut que la lumière soit faite sur les actes de ses collègues. Et que les coupables soient tenus responsables de leurs actes. Sinon, il n'hésitera pas à quitter le Sénat.

Ce n'est pas la première fois que Demers, dans une situation chaude, se tient debout au Sénat. S'il ne possède pas l'expertise pour s'imposer aux comités des finances ou des affaires étrangères, son jugement sur les choses de la vie est sûr.

En septembre 2011, lorsque Stephen Harper a embauché Angelo Persichilli comme directeur des communications, Demers a dénoncé les propos acerbes de ce dernier envers le Québec, à l'époque où il était analyste politique.

Dans le scandale actuel, peu de sénateurs ont dénoncé avec autant de force que Demers les agissements de leurs collègues sur la sellette. Vern White (Ontario), Lillian Dyck (Saskatchewan) et James Cowan (Nouvelle-Écosse) sont parmi ceux l'ayant imité.

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Jacques Demers est un homme intègre. Et ses déclarations des derniers jours rappellent pourquoi il demeure crédible partout au Québec et au Canada.

Son rôle de sénateur, il l'accomplit notamment en prononçant des allocutions devant des auditoires ayant besoin d'encouragement. Au fil des mois, il a visité des écoles, des organismes d'entraide et des prisons.

«Je pense que les gens peuvent se sortir d'une mauvaise période dans leur vie, dit-il. Je ne me conte pas d'histoires: je sais bien que si, par exemple, je rencontre un groupe de jeunes dans une école, je ne les toucherai pas tous. Mais si je rejoins quatre ou cinq d'entre eux, je suis heureux.»

S'il quitte le Sénat, Jacques Demers demeurerait pertinent comme analyste sportif. Il surveille de près le hockey et ses observations sont à point, peu importe qu'il s'agisse de Patrick Roy («un gars méthodique qui a fait ses classes») ou Joe Sakic («j'espère qu'il sera plus prudent dans ses échanges que Joe Nieuwendyk»).

Vingt ans après avoir conduit le Canadien à la Coupe Stanley, Jacques Demers reste droit et direct.