La poursuite déposée vendredi dernier est un cauchemar pour la LNH.

Les parents de Derek Boogaard reprochent au circuit d'avoir fourni à leur fils des quantités excessives de médicaments antidouleur, l'entraînant ainsi dans une dépendance ayant causé sa mort. Si les tribunaux entendent ce recours juridique, l'affaire se transformera inévitablement en procès de la violence au hockey. Et la LNH sera enfin confrontée à ses démons.

Mais d'abord, un peu d'histoire.

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Le 13 mai 2011, Boogaard est retrouvé sans vie dans son appartement de Minneapolis, victime d'une surdose de comprimés.

L'été précédent, après cinq saisons avec le Wild du Minnesota, période durant laquelle il a marqué deux buts et récolté 544 minutes de pénalité, le colosse de 6'7 et 258 lb a signé un contrat avec les Rangers de New York.

Son rôle de bagarreur lui a valu cette entente de quatre saisons, au salaire annuel de 1,6 million. Mais comme l'histoire le démontrerait bientôt, Boogaard avait déjà acquis une dépendance aux médicaments antidouleur, allègrement prescrits par les médecins de plusieurs équipes de la LNH.

Selon la poursuite, durant la seule saison 2008-2009, Boogaard a reçu des ordonnances pour 1021 comprimés antidouleur.

Avant d'atteindre la LNH, le jeune homme avait laissé tomber les gants des dizaines de fois dans le hockey junior et la Ligue américaine. Son corps le faisait souffrir depuis plusieurs années. Sa tête, cible privilégiée de ses adversaires, avait reçu des quantités inouïes de coups de poing, affectant ainsi son cerveau.

À sa mort, au jeune âge de 28 ans, Boogaard souffrait d'encéphalopathie traumatique chronique (ETC), un état proche de la maladie d'Alzheimer. Selon des spécialistes de l'Université de Boston, eux-mêmes étonnés de leurs conclusions, il aurait développé des signes de démence dès la quarantaine.

Au cours de cet été 2011, deux autres matamores de la LNH, Wade Belak et Rick Rypien, sont morts dans des circonstances aussi dramatiques. Cela n'a pas convaincu la LNH d'interdire les bagarres.

En fait, lorsque le New York Times a publié, sept mois après la mort de Boogaard, un dossier explosif sur sa carrière et les circonstances ayant conduit au drame, Gary Bettman a voulu en minimiser la portée.

Le commissaire de la LNH s'est moqué ainsi des travaux des scientifiques de l'Université de Boston: «Leur propension à tirer des conclusions à un stade très préliminaire est fantastique pour les manchettes, mais ne fait pas nécessairement avancer la recherche».

La LNH refuse toujours d'établir un lien entre les coups de poing à la tête et les commotions cérébrales, malgré une documentation abondante en ce sens.

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Dans une déclaration publique, lors du dépôt de la poursuite, William Gibbs, un avocat de Chicago représentant la famille Boogaard, a déclaré: «La LNH a repêché Deerek Boogaard pour que son corps immense se batte afin d'augmenter ses cotes d'écoute et ses revenus. Ces bagarres soir après soir ont affecté le corps et l'esprit de Derek».

Selon Gibbs, les médecins d'équipes lui ont prescrit des comprimés antidouleur comme s'il s'agissait de «friandises».

Son collègue Thomas Demetrio et lui ajoutent que la LNH savait, ou aurait dû savoir, que les bagarreurs couraient un plus grand risque de subir des traumatismes au cerveau et acquérir une dépendance aux médicaments.

La poursuite reproche aussi au circuit d'avoir encouragé Boogaard à se battre.

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Dans une analyse publiée sur le site NFL Concussion Litigation, l'avocat spécialiste Paul Anderson estime que la LNH demandera le rejet de cette poursuite.

À son avis, les procureurs du circuit soutiendront que les litiges entre les joueurs et la direction sont sous la juridiction de la convention collective.

La NFL, rappelle-t-il, utilise la même stratégie dans son conflit avec plus de 4000 anciens joueurs, qui affirment ne pas avoir été prévenus des effets à long terme des commotions cérébrales sur leur qualité de vie. Des cas de démence, et même de suicide, sont survenus.

On saura bientôt si ce recours juridique sera entendu par un tribunal. Les deux parties ont soumis leurs arguments à la juge Anita Brody le 9 avril dernier. Si elle tranche en faveur des anciens joueurs de la NFL, et qu'un procès a lieu, les chances que l'affaire Boogaard aboutisse aussi devant le tribunal deviendront très fortes.

Cela dit, dans la NFL, les réclamations des anciens joueurs ont déjà provoqué une prise de conscience. Assurer la sécurité des joueurs est devenu une préoccupation majeure du commissaire Roger Goodell.

En fait, certaines de ses initiatives sont même dénoncées par les joueurs actuels. Ainsi, en vue de la prochaine saison, les coups assenés à l'adversaire avec la couronne du casque protecteur ont été interdits - une décision contestée.

Dans la LNH, personne n'a jamais exigé la fin des bagarres. Ni Gary Bettman, ni les propriétaires d'équipes, ni même, ironiquement, l'Association des joueurs. Les cris enthousiastes des spectateurs lorsque deux colosses en viennent aux coups sont bien plus pesants que les arguments songés d'un Ken Dryden, par exemple.

En revanche, aucun recours juridique dénonçant les bagarres n'avait encore été déposé. Le cas Boogaard représente un élément nouveau, et potentiellement déterminant, dans ce dossier.

Peut-être qu'un jour, le bon sens triomphera.