Pour saisir l'immensité du pas franchi par Jason Collins, il faut retourner en mai 2011. Ce jour-là, Rick Welts, président des Suns de Phoenix, dévoile publiquement son homosexualité.

L'histoire fait grand bruit. Dans l'Association nationale de basketball (NBA), Welts n'est pas le dernier venu. Longtemps un des principaux adjoints du commissaire David Stern, ses réalisations sont impressionnantes. On lui doit notamment la transformation du match des étoiles en happening géant, avec concours de dunks et match des Anciens.

Mais durant toutes ces années, Welts a gardé son secret. Lorsque son conjoint est mort à la suite de complications liées au sida, en 1994, il n'a pris que deux jours de congé. Officiellement, il avait perdu un ami, pas son amoureux.

Welts craignait les impacts négatifs sur sa carrière de gestionnaire sportif si son homosexualité était connue. «Le sport professionnel est une des dernières industries où ce sujet est proscrit», a-t-il confié au New Tork Times, en révélant être gai.

C'était il y a deux ans à peine. Mais aussi bien dire une éternité. Car le chemin parcouru depuis ce jour est remarquable.

La semaine dernière, Jason Collins, qui a porté les couleurs des Celtics de Boston et des Wizards de Washington cette saison, a signé un texte historique dans Sports Illustrated: «Je suis un centre de 34 ans dans la NBA. Je suis noir. Et je suis gai.»

Collins est ainsi devenu le premier joueur actif d'un sport professionnel nord-américain à faire cette confidence.

La levée d'un tabou n'est jamais chose banale. Rick Welts a montré du courage en jouant la carte de la transparence. Mais cette fois, il s'agit d'un joueur, qui partage l'intimité du vestiaire avec ses coéquipiers.

«On m'a demandé comment les autres joueurs réagiraient à mon annonce, a dit Collins. Je n'en ai aucune idée. Je suis pragmatiste. J'espère pour le mieux et me prépare pour le pire.»

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La tragédie du marathon de Boston a contribué à la démarche de Collins. «Les choses peuvent changer si vite, alors pourquoi ne pas vivre honnêtement?», écrit-il.

Fatigué de vivre avec un secret toujours plus lourd à porter, Collins a d'abord prévenu ses proches avant de publier son texte. La réaction de sa tante Teri l'a surpris: «Je sais que tu es gai depuis des années...»

En revanche, son frère jumeau Jarron, lui-même un ancien joueur de la NBA, est demeuré stupéfait. Les deux frères sont pourtant très proches. Presque voisins, ils se parlent plusieurs fois par semaine. «Voilà pour la télépathie entre jumeaux...», a lancé Collins à la blague.

Dès l'annonce de la nouvelle, Barack Obama l'a appelé pour lui dire toute sa fierté envers lui. D'ailleurs, sans la réélection du président des États-Unis en novembre dernier, Collins aurait peut-être hésité à aller de l'avant.

Dans son discours inaugural, Obama a en effet livré un puissant message d'appui à la communauté gaie. En s'exprimant ainsi, le premier citoyen des États-Unis a donné à ses concitoyens un signal d'ouverture bienvenu.

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Des joueurs d'autres sports imiteront-ils Collins?

Chose certaine, les mentalités évoluent et les dirigeants des différents circuits font des gestes concrets afin d'encourager la compréhension et la tolérance.

Ainsi, le mois dernier, la LNH et l'Association des joueurs ont annoncé un partenariat avec le projet You Can Play («Tu peux jouer»), qui combat l'homophobie dans le sport.

«Notre devise est "Le hockey pour tous", a déclaré le commissaire Gary Bettman. La politique de la LNH en est une d'inclusion sur la glace, dans les vestiaires et dans les gradins.»

Parmi les initiatives retenues, des séminaires seront tenus à l'intention des espoirs de la LNH. Des ressources seront aussi offertes aux organisations afin de sensibiliser les directions d'équipe et les joueurs.

«Le hockey doit proposer un environnement inclusif à partir de la base jusqu'aux rangs professionnels», a ajouté Donald Fehr, directeur de l'Association des joueurs.

Évidemment, entre les intentions et la réalité, il y a parfois une marge. La LNH est tout de même le circuit où la présence de femmes journalistes dans les vestiaires suscite encore des débats, comme la triste sortie de Don Cherry l'a récemment démontré.

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Jason Collins est joueur autonome. C'est donc dire qu'il peut offrir ses services à toutes les équipes en vue de la prochaine saison. Réserviste fiable, il est reconnu pour son jeu dur et ses nombreuses fautes. Il prépare sa 13e saison dans la NBA en se disant heureux de ne plus avoir à se «cacher».

Quelle équipe l'embauchera? Et quel accueil lui réserveront ses coéquipiers et ses rivaux? Souhaitons-lui un parcours aussi serein que celui de Rick Welts.

Après avoir quitté les Suns de Phoenix pour s'établir en Californie, Welts a été nommé président des Warriors de Golden State (Oakland).

Dans le guide de presse de l'équipe, on mentionne fièrement qu'il est devenu, en mai 2011, le plus haut gradé d'une organisation sportive professionnelle à reconnaître être gai.

«On était en retard sur la société, a dit Welts, en commentant l'annonce de Collins. Nous rattrapons le temps perdu.»

Rick Welts et Jason Collins sont des précurseurs.

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Sources: Sports Illustrated, The New York Times, NPR.