La sortie de l'hôpital de Lars Eller est réconfortante. Mais une question demeure: ce jeune homme doué, aux gestes si purs sur la patinoire, retrouvera-t-il le même plaisir de jouer?

On le souhaite tous. Mais un assaut comme celui-là ne s'oublie jamais: commotion cérébrale avec perte de conscience, blessures au visage, dents brisées...

Jeudi soir, la vue de son corps inerte sur la glace m'a rappelé les confidences de Marc Tardif, 34 ans après avoir été victime d'une charge violente de Rick Jodzio, dans un match de l'Association mondiale de hockey (AMH) entre les Nordiques et les Cowboys de Calgary.

«Je n'ai plus jamais été le même joueur, m'a expliqué Tardif, à l'été 2010. C'est comme une personne impliquée dans un grave accident d'auto. Après, ça ne lui tente plus de conduire.»

Tardif a pourtant établi des records de l'AMH après son retour au jeu. Mais la passion qu'il éprouvait envers son sport s'est éteinte à jamais. Au point où il a retiré son fils du hockey mineur.

Le jeu était brutal dans les années 1970, avec une multitude de bagarres générales. Ce problème s'est résorbé. Mais le respect des joueurs les uns envers les autres demeure aussi fragile.

Est-ce vraiment le hockey que nous voulons?

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Ni le commissaire de la LNH, ni les gestionnaires d'équipe, ni les joueurs, ni les analystes, ni les amateurs ne peuvent ignorer les terribles conséquences des commotions cérébrales sur la qualité de vie des athlètes pendant et après leur carrière.

Lorsqu'il faut étudier un coup suspect, le réflexe est pourtant de se réfugier derrière les grilles d'analyse déterminées par la LNH. Le gros bon sens cède alors le pas aux diktats du circuit. Les heures qui ont suivi le coup de Gryba contre Eller en ont fourni l'illustration.

Partout, les questions ont fusé: la tête d'Eller a-t-elle été le principal point de contact de Gryba? Le défenseur des Sénateurs s'est-il donné une impulsion supplémentaire en le frappant? Ses patins ont-ils quitté la patinoire? S'est-il servi de son coude? Eller s'est-il lui-même placé dans une situation vulnérable?

J'avoue être tombé dans ce piège en regardant vingt fois la séquence après la deuxième période. Après tout, c'était la seule façon d'évaluer si Gryba serait ou non suspendu en vertu de la pseudo-jurisprudence de la LNH. Les analystes n'ont fait que leur travail.

Malgré tout, j'ai ressenti une drôle d'impression. Comme si j'étais plongé dans les tables des impôts. Si votre revenu atteint 43 561$, votre taux d'imposition est de 38,4%. À partir de 82 190$, c'est 42,4% . Si la tête est le point d'impact, c'est une suspension de trois matchs...

C'est facile d'oublier l'essentiel en remplissant des cases. Dans l'affaire qui nous occupe, l'essentiel, c'est qu'un athlète plein de promesses, qui fêtera ses 24 ans la semaine prochaine, voit son élan vers l'élite de la LNH brutalement stoppé par une charge déraisonnable, dangereuse et inutile.

Lars Eller est une victime dans cette affaire. Et, dans une moindre mesure, Raphael Diaz. L'entraîneur des Sénateurs, Paul MacLean, l'a vite identifié comme principal responsable. Selon lui, c'est la passe risquée de Diaz qui est à l'origine du coup de Gryba.

Après le match, face au silence du Canadien, la version de MacLean a pris une place démesurée dans la trame narrative des événements.

Pendant que MacLean se farcissait «le numéro 61», Michel Therrien a juré ne pas avoir le droit de commenter. Alors pourquoi Maclean a-t-il parlé, lui? N'était-il pas tenu au même silence?

J'imagine que Therrien craignait une amende s'il livrait le fond de sa pensée. À cela je répondrai ceci: pour défendre une question de principe, ça vaut parfois la peine de prendre un risque, surtout lorsqu'on travaille pour une organisation aussi riche que la sienne.

L'occasion aurait été belle pour le Canadien de dénoncer cette violence stupide. Les journalistes ont tendu plusieurs perches à Therrien, mais il les a toutes rejetées. Résultat, les accusations de MacLean ont été diffusées en boucle à la télé, sans réplique du CH.

Encore une fois, c'est la preuve que dans la LNH, les victimes ne sont jamais bien traitées. Ce fut la même chose dans l'affaire Pacioretty en mars 2010. L'ailier du Canadien reprenait à peine conscience, au lendemain du coup de Zdeno Chara, que la LNH avait déjà blanchi le défenseur des Bruins! La direction du circuit, bien sûr, n'a jamais demandé la version de Pacioretty.

Et l'Association des joueurs, demandez-vous? Elle veut d'abord protéger celui qui donne le coup. L'objectif non avoué est de réduire au minimum la perte de salaire entraînée par une éventuelle suspension.

La LNH et ses joueurs accorderont-ils un jour autant d'importance à la sécurité physique des joueurs qu'à leur sécurité financière? Ça ne semble pas pour demain.

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Eric Gryba a été suspendu pour deux matchs. C'est mieux qu'une absolution. N'empêche que cette courte sanction contribue à banaliser les coups déplorables sur la patinoire, ceux qui minent la crédibilité du hockey.

En commentant l'affaire sur Sportsnet.ca, Ryan Kesler a dit: «Il faut avoir du respect. Mais il n'y en a pas beaucoup dans cette ligue.»

L'attaquant des Canucks de Vancouver a raison. La multiplication des commotions cérébrales ne provoque aucune remise en question.

Lars Eller, hélas, ne sera pas la dernière victime.