Les témoignages sont bouleversants.

PAUL: «J'aimais lire. Mais aujourd'hui, après une demi-heure, je ne suis plus capable. Si je le fais, je deviens épuisé.»

BRUCE: «Je ne peux plus retenir un numéro de téléphone. Même si je le répète cinq fois, j'ai de la difficulté à m'en souvenir.»

GARY: «Je ressens des maux de tête presque tous les jours. Je ne crois pas que ça se réglera.»

JAMES: «J'ai connu une dépression profonde. Un jour, ma femme est rentrée à la maison et je pense que je pleurais sous une table.»

ZACH: «Pendant trois semaines, personne n'a compris ce qui m'arrivait. Je ne l'oublierai jamais car je ne me suis jamais senti si seul dans ma vie.»

Paul, Bruce, Gary, James et Zach sont les pseudonymes de cinq anciens joueurs de la LNH. Après une carrière professionnelle d'au moins dix saisons, ils ont été contraints à la retraite en raison de symptômes liés aux commotions cérébrales.

Sous le couvert de l'anonymat, ils ont participé à une étude menée par des chercheurs de l'Université McGill et de l'Université de Toronto sur les conséquences des nombreux coups à la tête reçus durant leur carrière.

Les cinq ont répondu à des questions personnelles dans l'espoir d'enrichir les connaissances sur le mal du siècle dans le sport. Leurs confidences sont troublantes.

«Les effets des commotions cérébrales sur leur qualité de vie sont majeurs, explique Jeffrey Caron, qui a interrogé les cinq ex-hockeyeurs. Ces symptômes sévères ont eu des impacts dans leur vie de père et de mari.»

Étudiant au doctorat en kinésiologie et psychologie sportive à l'Université McGill, Jeffrey Caron a lui-même joué au hockey aux niveaux junior majeur et universitaire.

Cette expérience lui a permis d'établir une relation de confiance avec ces anciens joueurs, qui ont surtout évolué dans la LNH durant les années 90.

La revue Sports Exercise & Psychology a publié dans son plus récent numéro le rapport des chercheurs.

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Jeffrey Caron a été ému par les propos de «Gary», qui lui a raconté la fin de sa carrière. Même s'il espérait participer au camp d'entraînement de son équipe, un médecin lui a annoncé qu'il ne l'autoriserait pas à revenir au jeu.

En rentrant à la maison après ce verdict sans appel, «Gary» était choqué, mais aussi soulagé. Car il savait que quelqu'un devait prendre cette décision pour lui. «Sinon, j'aurais essayé de revenir et de jouer jusqu'à en mourir», confie-t-il.

L'article démontre aussi à quel point l'impact des commotions cérébrales a longtemps été mal compris. Les dirigeants de plusieurs équipes étaient dépassés par cette blessure mystérieuse. «Mon entraîneur ne pouvait voir une radiographie de ma commotion cérébrale...», explique «Paul».

«Zach» ajoute qu'un jour, un médecin à qui il confiait son mal minimisa ses symptômes. «Tu te sentiras mieux après avoir marqué un but ou deux», lui a-t-il dit, en substance.

Heureusement, cette ignorance est chose du passé. Le problème des commotions cérébrales n'est plus balayé sous le tapis. Mais les solutions pour mieux les détecter et les soigner demeurent embryonnaires.

Ken Dryden, l'ancien gardien du Canadien, l'a rappelé dans un colloque tenu à Calgary, hier. Il a proposé que tous les gens concernés - athlètes, médecins, chercheurs, entraîneurs et dirigeants d'équipe - se regroupent pour trouver des réponses.

«Même les gens qui en savent un peu sur le sujet savent peu de choses», a-t-il dit à La Presse Canadienne. Dryden a ainsi fait écho à Roger Goodell, commissaire de la Ligue nationale de football (NFL).

Le mois dernier, en annonçant un partenariat avec General Electric afin de mieux comprendre ce fléau, Goodell a déclaré: «Malgré tous les progrès scientifiques, notre connaissance du cerveau est moins avancée que celle des autres organes du corps.»

La NFL, rappelle Jeffrey Caron, est le leader du sport professionnel dans la lutte aux commotions cérébrales. «La ligue n'hésite pas à changer les règlements lorsqu'il le faut», dit-il.

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Malgré les commotions cérébrales à répétition, la direction de la LNH et l'Association des joueurs n'affichent aucun leadership dans l'espoir d'en diminuer le nombre et les conséquences.

Pendant que la NFL multiplie les initiatives concrètes, le circuit Bettman se contente d'un pathétique laisser-aller. La simple adoption du dégagement hybride devient une affaire d'État devant être évaluée et réévaluée jusqu'à plus soif.

Le débat sur le port de la visière l'a démontré: les questions liées à la sécurité physique des joueurs embêtent le circuit. Si ce sujet générait autant d'intérêt que la sécurité financière, le progrès serait plus rapide.

Pour que les mentalités évoluent, il faudra modifier l'approche des joueurs dès leur plus jeune âge. «La notion de respect est importante, dit Jeffrey Caron. Respect pour soi et pour l'adversaire.»

Contrairement aux générations de hockeyeurs qui les ont précédés, les joueurs d'aujourd'hui - et leurs patrons - ne peuvent plaider l'ignorance. Les commotions cérébrales laissent trop souvent des traces terribles.

«Ce n'est pas parce qu'on prend notre retraite que cette blessure disparaît», a résumé «Gary», un des joueurs interrogés par Jeffrey Caron.

La LNH n'a plus d'excuses. Elle doit participer activement à la recherche de solutions.