Quarante-cinq ans de déceptions, d'insuccès et, parfois, de futilités! Avouez que ce n'est pas banal, surtout pour l'équipe la plus riche de la LNH.

Les Maple Leafs de Toronto, qui reçoivent ce soir le Canadien au Air Canada Centre, représentent l'énigme du hockey professionnel. Pourquoi une organisation dotée de si nombreux atouts, de la passion des partisans à la vigueur économique de son marché, est-elle incapable de bâtir une équipe gagnante?

Imaginez: durant les sept années de la dernière convention collective, les Maple Leafs sont la seule des 30 équipes du circuit à ne pas avoir participé aux séries éliminatoires. Gênant? Le mot est faible. Comme si leur code génétique était programmé pour la médiocrité.

Les Maple Leafs ont remporté leur dernière Coupe Stanley en 1967. Aux dépens du Canadien, bien sûr. Cette défaite avait fait mal à Jean Béliveau et ses coéquipiers.

C'était l'année de l'Expo et le capitaine souhaitait présenter le fameux trophée au maire Jean Drapeau pour célébrer Terre des Hommes.

Depuis cette saison-là, les Maple Leafs ont parfois accompli un bout de chemin en séries, mais n'ont jamais disputé une autre finale.

Choix de première ronde des Maple Leafs en 1986, Vincent Damphousse a porté les couleurs torontoises durant cinq saisons. En 1989-1990, il a formé un duo du tonnerre avec Daniel Marois, un gars sympathique capable de marquer des buts.

À l'époque, La Presse m'avait dépêché à Toronto pour réaliser un reportage sur la «French Connection» des Maple Leafs. C'était extraordinaire de voir ces deux jeunes Québécois donner autant d'énergie à cette concession austère.

«Nous étions à la fin de l'ère Harold Ballard, se rappelle Damphousse. L'organisation n'était pas bien gérée. Lorsqu'on prenait la photo d'équipe, M. Ballard tenait à ce que son chien soit présent. Tous les joueurs attendaient pendant que le photographe essayait de capter l'attention du chien, Puck, pour qu'il tourne sa tête vers l'objectif. Ce n'était pas très sérieux.»

L'absence des anciennes gloires des Maple Leafs dans l'entourage de l'équipe étonnait aussi Damphousse.

«On ne voyait pas des gars comme Dave Keon et Darry Sittler. Comme si le sentiment d'appartenance n'existait pas. Une bonne organisation, ça commence par le haut. Les joueurs doivent sentir qu'ils jouent pour une équipe spéciale.»

À cette époque, les Maple Leafs ont effectué deux transactions majeures dans l'espoir d'atteindre le sommet. Et ils ont embauché Pat Burns comme entraîneur. Cette approche est venue près de les conduire à la finale de la Coupe Stanley au printemps 1993.

En avance trois matchs à deux dans leur série contre Wayne Gretzky et les Kings de Los Angeles, les Maple Leafs n'avaient besoin que d'une seule victoire pour disputer la Coupe Stanley au Canadien. Tout semblait en place pour une série opposant les rivaux historiques.

Hélas, les Maple Leafs ont perdu le sixième match à Los Angeles et le septième à Toronto. Ce soir-là, Gretzky a marqué trois buts pour conduire les siens à la victoire.

Les Maple Leafs et leurs fans étaient déçus. Mais quelle bataille ils avaient livrée! «Dans ma carrière de coaching, je n'ai jamais été aussi fier de mon équipe», a lancé Burns, le match terminé.

Au cours des neuf saisons suivantes, les Maple Leafs participèrent trois autres fois à la demi-finale de la Coupe Stanley. Mais ils n'accédèrent jamais au tour suivant.

En 2005, l'implantation d'un plafond salarial a modifié la réalité économique du hockey professionnel.

Subitement, le terrain de jeu s'équilibrait entre les formations dotées de puissants moyens et les autres. Les riches Maple Leafs n'ont pas relevé ce défi: mauvais choix au repêchage, mauvaises embauches de joueurs autonomes, mauvaises transactions.

Tenez, le réseau NESN de Boston, après avoir sondé ses auditeurs, a récemment décrété que l'échange ayant permis aux Bruins de chiper deux choix de première ronde aux Maple Leafs en retour de Phil Kessel était le meilleur dans l'histoire de cette ville, tous sports confondus!

Il ne faut pas prendre le jugement des Bostoniens à la légère. Après tout, ils s'y connaissent en matière de transaction abominable. Rappelez-vous: en 1919, les Red Sox ont vendu Babe Ruth aux Yankees de New York!

En décembre 2011, les entreprises Bell et Rogers ont versé 1,1 milliard pour acquérir 75% de Maple Leaf Sport&Entertainment (MLSE), la société qui possède les Maple Leafs, mais aussi les Raptors (NBA), le Toronto FC (MLS) et l'Air Canada Centre. Ces trois équipes ont un point en commun: leurs insuccès au jeu.

«Le mandat est de gagner», a déclaré Tom Anselmi, le chef de la direction de MLSE, dans une entrevue au Sports Business Journal le mois dernier. «On a du succès en affaires. Nous devons maintenant devenir une grande organisation sportive.»

Vous savez quoi? J'espère qu'ils réussiront. Les Maple Leafs font partie de l'histoire du hockey et leurs partisans méritent d'applaudir une équipe avec du panache.

L'arrivée des nouveaux propriétaires pourrait constituer un tournant. Bell et Rogers ont besoin d'équipes qui connaîtront du succès en séries éliminatoires, afin de bonifier les cotes d'écoute sur leurs chaînes sportives.

La pression sera désormais plus forte sur les dirigeants des équipes de MLSE. Brian Burke, congédié le mois dernier de son poste de DG des Maple Leafs, l'a constaté le premier. Être champion des revenus n'est plus suffisant.