Toute la semaine, durant son enquête de remise en liberté, je me suis posé cette question: qui est vraiment Oscar Pistorius?

Le week-end dernier, Pistorius semblait hors de tout doute un assassin ayant froidement abattu, et en pleine connaissance de cause, une jeune femme sans défense qu'il disait pourtant aimer.

Les médias sud-africains, citant des sources sûres, racontaient une effroyable histoire de violence, justifiant l'accusation de meurtre prémédité.

Les informations étaient accablantes: une querelle entendue par des voisins, le son de quatre coups de feu dans la nuit, une batte de cricket ensanglantée, l'inquiétante fascination de Pistorius pour les armes...

Et puis, mercredi, cette thèse est devenue moins sûre. L'enquêteur principal, Hilton Botha, a reconnu ne pas pouvoir exclure la version de Pistorius. Celui-ci soutient avoir tiré en croyant qu'un cambrioleur s'était introduit dans sa salle de bains par une fenêtre ouverte.

Vingt-quatre heures plus tard, nouveau bouleversement: on apprend que Botha, qui a commis des erreurs en recueillant la preuve dans la résidence de Pistorius, sera lui-même accusé de meurtre pour une affaire survenue en 2009.

Hier, Pistorius a retrouvé sa liberté en attendant son procès, prévu en juin. Pour une accusation de cette gravité, il s'agit d'une décision exceptionnelle. Mais le dossier de l'accusation, a expliqué le juge, n'est pas «assez fort et incontestable» pour inciter Pistorius à fuir le pays dans l'espoir d'éviter le procès.

Pistorius a gagné la première manche. Cela ne signifie pas qu'il évitera la condamnation. Selon le juge, «l'accusé a montré des tendances agressives» et sa version des faits comporte «des improbabilités qui devront être explorées».

Parmi celles-ci, pourquoi Pistorius a-t-il tiré sans demander qui était dans la salle de bains? Et pourquoi n'a-t-il pas remarqué que sa compagne était absente du lit lorsqu'il a entendu un bruit bizarre?

Bonnes questions, en effet.

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Il y a six mois à peine, Oscar Pistorius était un authentique héros.

À son arrivée à Londres, où il est devenu le premier athlète amputé à participer à une épreuve d'athlétisme aux Jeux olympiques, il fut accueilli en étoile.

Le magazine Time venait de consacrer sa notoriété en le nommant parmi les 100 personnes les plus influentes au monde, une liste ne comptant que six sportifs.

Pour Pistorius, cette participation aux Jeux représentait une immense victoire. Interdit de compétition en 2008 sous prétexte que ses lames de carbone représentaient un avantage inéquitable, il porta cette décision en appel devant le Tribunal international du sport, qui lui donna raison.

Beau garçon doté d'une voix riche, Pistorius avait expliqué, devant des journalistes du monde entier, ne jamais s'être senti distinct des autres enfants en grandissant.

«Le matin, ma mère disait à mon frère: Carl, mets tes souliers et à moi, Oscar, mets tes prothèses. Je n'ai jamais pensé avoir un handicap physique, mais simplement des souliers différents.»

Durant les Jeux, dans un kiosque à journaux de Londres, mon attention fut attirée par des livres empilés sur un présentoir. Sur la page couverture, j'aperçus une image de Pistorius, courant sur ses lames de carbone.

Intrigué, je constatai qu'il s'agissait d'une autobiographie. J'achetai le bouquin et, le soir même, j'en parcourus ses quelque 200 pages trop vite écrites.

N'empêche que certains passages me touchèrent. Notamment, celui où il raconte que son père fut le premier, quelques minutes après sa naissance en 1986, à remarquer la difformité de ses pieds.

Des examens démontrèrent que le bébé n'avait pas de péroné. Sans cet os parallèle au tibia, qui s'étend du genou à la cheville, impossible de supporter son propre poids.

Devant la rareté du cas, les médecins divergeaient d'opinion sur l'inévitable chirurgie à venir. Les parents de Pistorius se rangèrent finalement à l'avis d'un médecin sud-africain qui proposa une amputation des deux jambes sous le genou.

Selon le spécialiste, si l'intervention était effectuée avant qu'Oscar apprenne à marcher, il ne souffrirait pas du traumatisme lié à la perte de ses jambes et s'adapterait plus facilement à ses prothèses. À l'âge de 11 mois, Pistorius fut opéré.

Afin de s'assurer que leur enfant comprenne bien leur choix lorsqu'il atteindrait l'âge adulte, Sheila et Henk Pistorius consignèrent dans un dossier l'opinion de tous les experts consultés.

«Mes parents voulaient être sûrs que si, plus tard, la tournure de ma vie me rendait malheureux, je comprendrais leur raisonnement, écrit Pistorius. J'ose à peine imaginer à quel point la responsabilité de ce choix a dû être écrasante.»

À Londres, Pistorius incarna le triomphe de la détermination. Il rata sa qualification pour la finale du 400 mètres. Mais comment ne pas être ému lorsqu'il foula la piste du Stade olympique, devant 80 000 spectateurs, prêt à lutter contre les meilleurs du monde?

Au milieu de toutes ces étoiles de l'athlétisme, c'est lui qui, un court moment, brilla le plus fort.

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Qui est vraiment Oscar Pistorius?

Un assassin brutal, comme le soutient la poursuite? Ou un homme terrorisé à la pensée d'être assailli dans sa maison, et qui a tiré par peur, comme le prétend la défense?

La justice tranchera. Mais cela ne changera rien au véritable drame de l'affaire. Reeva Steenkamp, une jeune femme rayonnante qui aimait la vie et débordait de projets, a été abattue par un homme muni d'une arme à feu.

Peu importe le verdict, Oscar Pistorius ne sera plus jamais le héros qui a marqué les Jeux de Londres, l'été dernier.

Sources: AFP, The New York Times, The Daily Telegraph et Oscar Pistorius, Blade Runner (Virgin Books).