À la tête du Comité international olympique (CIO) depuis 2001, Jacques Rogge ne croyait sans doute pas que son mandat s'achèverait sur une crise pareille.

En proposant l'exclusion de la lutte des 25 sports formant le noyau des Jeux d'été, la Commission exécutive du CIO, qui regroupe 15 des membres les plus influents de l'organisme, a montré l'opacité de son fonctionnement. Peu importe notre opinion sur cette discipline, le processus ayant conduit à cette sanction se distingue par un regrettable manque de transparence. Une recommandation aussi lourde de conséquences aurait dû être effectuée à la lumière du jour.

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Dans les coulisses du CIO, on savait que l'avenir de la lutte était sur la corde raide. Alors, pourquoi ne pas avoir donné la chance à ses dirigeants de plaider leur cause devant les membres de la Commission exécutive? Pourquoi les surprendre ainsi?

«Le président de la Fédération internationale n'a jamais su que notre sport était en danger, dit Daniel Robin. On a ciblé la lutte sans prévenir, comme pour la dévisser plus facilement. C'est totalement injuste. On aurait dû avoir le droit de se défendre.» Double médaillé d'argent des Jeux de Mexico en 1968, Robin a consacré sa vie au sport, notamment à la Ville de Montréal, où il a travaillé plusieurs années.

Aux Jeux de Londres l'été dernier, il était l'un des responsables de la compétition de lutte. Personne ne s'étonnera que les événements de la semaine dernière l'aient choqué. Mais il a raison de dénoncer le fonctionnement du CIO dans ce dossier. Un exemple: sept sports présélectionnés par le CIO (baseball/softball, karaté, roller, escalade sportive, squash, wakeboard et wushu) souhaitent être inclus au programme des Jeux de 2020. Leurs fédérations ont déjà soumis un dossier de candidature étoffé et répondu aux questions de la Commission du programme olympique.

Si les représentants des sports désireux d'accéder aux Jeux sont entendus, pourquoi ceux menacés d'exclusion n'ont-ils pas obtenu le même privilège? Pourquoi ne pas avoir prévu des journées d'audience où le pentathlon moderne, le taekwondo, la lutte et les autres disciplines en péril auraient pu s'expliquer?

Dans cette affaire, la Fédération internationale de lutte a évidemment manqué de flair. Des dirigeants le moindrement allumés auraient compris que leur sport éta it menacé et se seraient montrés proactifs. Le président a d'ailleurs démissionné après l'annonce de la nouvelle.

Cela dit, avoir ou non de bonnes antennes au siège du CIO ne devrait pas avoir d'impact sur une décision semblable. Aujourd'hui, le rôle de Juan Antonio Samaranch fils, vice-président de la Fédération internationale de pentathlon moderne, suscite l'interrogation. Son influence au sein de la Commission exécutive du CIO a-t-elle été prépondérante le jour du vote? En travaillant dans l'obscurité, le CIO ouvre la porte à des questionnements semblables.

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«On a réveillé un géant!», lance Daniel Robin , en évoquant la réaction du monde de la lutte. Il n'a pas tort. Une levée de boucliers s'est produite à travers le monde.

Des pétitions demandant au CIO de ne pas mettre sa menace à exécution ont été lancées sur le web. Des personnalités, comme le président russe Vladimir Poutine et le romancier américain John Irving, ont remis en question cette décision. Dans un texte qu'il a signé dans le New York Times, Irving juge néanmoins durement l'inertie de la Fédération internationale de lutte. Il reconnaît que son sport favori, qui occupe une place de choix dans son oeuvre romanesque, doit se remettre en question.

Mais Irving rappelle aussi ceci: aux Jeux olympiques de Londres l'été dernier, 71 pays étaient représentés dans la discipline de la lutte et à peine 26, à celle du pentathlon moderne.

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Le CIO se retrouve aujourd'hui dans l'embarras. Comment s'en sortira-t-il? La réponse n'est pas évidente. La manière la plus élégante serait d'ajouter un sport aux Jeux de 2020. La lutte retrouverait sa place. Et les sept sports présélectionnés demeureraient en concurrence pour le seul autre ticket d'entrée.

Sinon, la lutte leur livrera bataille. Si elle est choisie à leurs dépens, ces sept sports auront le droit de se croire les dindons de la farce. Après des mois d'efforts, et laissés avec l'impression que l'un d'eux serait choisi par le CIO, ils verraient la lutte les doubler sans avertissement. Un tel scénario empêcherait aussi le CIO d'atteindre un objectif louable, soit la modernisation du programme des Jeux d'été avec l'ajout de disciplines dynamiques ayant le souci du spectacle.

Autre possibilité: les membres du CIO pourraient désavouer la recommandation de la Commission exécutive d'exclure la lutte. Pareille décision ferait cependant mal paraître leurs collègues qui en font partie. En septembre prochain, le CIO tiendra son congrès à Buenos Aires. Un nouveau président sera choisi, de même que la ville hôtesse des Jeux de 2020. (Les candidates sont Madrid, Istanbul et Tokyo.)

Le programme s'annonçait déjà chargé. S'il n'est pas encore réglé, un exercice qui exigera du doigté, l'avenir de la lutte ajoutera au suspense. Espérons que le successeur de Jacques Rogge réfléchira aux conséquences de cette controverse. Avec raison, John Irving réclame plus de transparence du CIO. À ce sujet, le futur président devrait s'inspirer de la devise olympique: viser plus vite, plus haut, plus fort.