La plainte d'un citoyen a été suffisante pour réveiller Big Brother. Quoi, une patinoire dans une ruelle? Inadmissible! Allons vite répandre du gravier sur cette belle glace vive avant le retour du printemps.

Après tout, on s'en fout si plusieurs enfants du quartier Villeray en profitent. Depuis quand la Ville de Montréal devrait-elle encourager les jeunes à jouer au hockey dehors? Et les parents, ils ne savent pas que leurs rejetons peuvent aussi marquer des buts avec NHL 13 sur leur Xbox?

J'ironise, bien sûr, mais ce n'est franchement pas drôle. Dans La Presse de lundi dernier, sous la plume d'Isabelle Ducas, on apprenait que des employés de la Ville, agissant à la demande d'un citoyen outré, ont détruit deux patinoires entretenues avec amour par des familles de Villeray.

Avec raison, ce geste a consterné parents et enfants. Surtout qu'ils avaient pris des précautions afin de ne pas importuner leurs voisins.

Lorsqu'on vit en ville, avec des terrains grands comme des mouchoirs de poche, il faut être imaginatif pour inciter les jeunes à respirer l'air frais et à les décoller d'un écran de télé ou d'ordinateur.

Montréal est bien pourvue en patinoires extérieures. Mais on n'en trouve tout de même pas à tous les coins de rue. Et il suffit de les fréquenter pour comprendre que les plus jeunes, à moins d'être assez nombreux pour jouer entre eux en compagnie de leurs parents, n'y ont pas toujours leur place. Le jeu est trop rapide pour eux.

En arrosant une portion de ruelle, ces familles de Villeray ont permis aux plus petits de s'oxygéner derrière la maison en savourant les plaisirs du hockey. S'approprier la ville, c'est une tendance moderne et une manière de contrer l'exode vers la banlieue, comme ces parents l'ont rappelé avec à-propos.

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Le mois dernier, autour d'un café, j'ai discuté avec Sylvie Bernier. Près de 30 ans après avoir remporté la médaille d'or en plongeon aux Jeux olympiques de Los Angeles, elle affirme que le sport demeure au coeur de ses priorités.

Aujourd'hui, à titre d'ambassadrice des saines habitudes de vie pour Québec en forme, elle se bat pour inciter les gens, notamment les jeunes, à être physiquement actifs et à mieux s'alimenter. Durant notre conversation, elle m'a transmis des données inquiétantes.

Ainsi, à peine 30 % des enfants marchent pour faire la navette de la maison à l'école, une façon simple de bouger. Il s'agit d'une chute vertigineuse en 30 ans!

Les études démontrent que les jeunes qui n'intègrent pas l'activité physique à leur routine quotidienne auront des ennuis à renverser leur sédentarité en vieillissant. «Une fillette inactive à l'âge de 10 ans a 90 % de risques de le demeurer à l'âge adulte», m'a-t-elle expliqué.

Ce n'est pas tout: moins d'un adolescent sur deux accomplit 60 minutes d'activité physique par jour, la norme minimale recommandée. On ne parle pas ici de suer à grosses gouttes, mais simplement de marcher d'un pas rapide.

Quelles sont les clés pour encourager les jeunes à bouger? La proximité et l'accessibilité.

La proximité, c'est proposer des aires de jeu près de la maison. L'éloignement est en effet un frein majeur à la pratique d'une activité physique.

Quant à l'accessibilité, c'est la possibilité de bouger sans dépenser une fortune.

Peut-on trouver un meilleur exemple qu'une patinoire de ruelle pour répondre à ces deux critères?

La pulvérisation des patinoires de Villeray ne touche qu'une poignée d'enfants. À ce titre, cette décision a des conséquences modestes.

En revanche, le symbole est puissant. Il illustre à quel point notre société a du chemin à parcourir avant d'élever la condition physique des jeunes au rang de priorité.

Sylvie Bernier m'a appris autre chose: selon des chercheurs américains, l'obésité pourrait réduire l'espérance de vie des jeunes par rapport à celle de leurs parents. «C'est pourquoi il faut absolument renforcer les saines habitudes de vie, dit-elle. C'est une responsabilité sociale».

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Montréal compte près de 500 kilomètres de ruelles. L'idée n'est pas de tout transformer en terrains de jeux, mais de trouver des aménagements où les enfants, et pas seulement les voitures, auront leur place. En clair, il faut assurer un équilibre entre les besoins des uns et des autres.

Si l'histoire des patinoires de Villeray a un mérite, c'est celui de provoquer un débat. Des politiciens municipaux, notamment Louise Harel, se sont prononcés en faveur des «ruelles blanches», le pendant hivernal des ruelles vertes qui ont amélioré l'environnement urbain.

Le hasard fait bien les choses. Au printemps, une commission de la Ville de Montréal dévoilera ses recommandations à la suite d'une consultation tenue sur le thème «Montréal, physiquement active».

Les élus profiteront d'une belle occasion de se positionner sur le sujet. D'autant plus que l'utilisation des ruelles à des fins d'activité physique a été magnifiquement présentée par le Regroupement des éco-quartiers.

Dans un stimulant mémoire, les auteurs rappellent la place du jeu et du sport dans les ruelles jusqu'au début des années 1960. Et ils posent cette question essentielle: «Quelles vocations souhaitons-nous pour nos ruelles? Circulation exclusive ou espaces de socialisation pour jouer et bouger?»

Pour le bien-être de nos enfants, la réponse tombe sous le sens. Vive le hockey de ruelle!