Le cyclisme professionnel peut-il retrouver sa crédibilité?

Une étape significative a été franchie avec les aveux de Lance Armstrong à Oprah Winfrey. Mais d'autres questions demeurent en suspens. Au premier chef, le rôle de l'Union cycliste internationale (UCI) durant cette ère de dopage systémique.

Au coeur de l'affaire, on retrouve trois hommes: Travis Tygart, Lance Armstrong et Pat McQuaid.

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Travis Tygart est le patron de l'Agence américaine antidopage (USADA). Sans son rapport dévastateur en octobre dernier, Armstrong nierait toujours s'être dopé et menacerait ceux qui disent la vérité.

Malgré le chemin accompli, Tygart poursuit sa lutte. Pas question de laisser Armstrong reprendre seul le contrôle du récit.

Dimanche, dans une passionnante entrevue au réseau CBS, Tygart a contesté plusieurs affirmations d'Armstrong lors de son entretien avec Oprah Winfrey.

Ainsi, Tygart ne croit pas qu'Armstrong était propre durant les Tours de France de 2009 et 2010. Ses analyses sanguines sont incompatibles avec cette prétention, soutient-il.

Tygart a ajouté que l'influence d'Armstrong sur les autres coureurs de l'équipe US Postal était beaucoup plus décisive qu'il ne l'a laissé entendre. «Lance était le patron», a-t-il rappelé, ajoutant que l'ancien champion avait profité d'informations privilégiées sur les tests de dopage.

Quant aux gens ayant le malheur de lui nuire, Armstrong pouvait les «incinérer», a ajouté Tygart.

Il y a un an, la décision de la justice américaine de ne pas déposer d'accusations contre Armstrong aurait pu décourager Tygart. Volontaire, il n'a pas abandonné la partie. Pour la première fois de sa carrière, Armstrong s'est retrouvé devant un adversaire aussi acharné que lui.

Aujourd'hui, le chef de la USADA demande à Armstrong de témoigner sous serment devant son organisme. Il lui a donné jusqu'à mercredi prochain pour accepter l'invitation.

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Lance Armstrong n'a évidemment aucune intention de vider son sac devant la USADA. Son avocat l'a vite fait savoir à Tygart.

L'athlète de 41 ans veut poursuivre sa carrière sportive, en participant à des triathlons et des marathons. Au micro d'Oprah Winfrey, il a qualifié sa suspension à vie de «peine de mort». À son avis, cette sanction est démesurée par rapport à celles des autres coureurs.

Compte tenu de la gravité de ses gestes, Armstrong pourrait, au mieux, voir sa suspension réduite à huit ans s'il coopérait pleinement avec la USADA. Mais ce n'est pas ce qu'il a en tête. L'ancien coureur se dit prêt à témoigner, mais à ses conditions. Après tout, un homme ne se libère pas de ses démons en quelques semaines.

Avec le recul, on constate qu'Armstrong a été habile dans son entrevue avec Oprah Winfrey. Il a d'abord blanchi l'UCI de tout manquement à l'éthique dans ses relations avec lui.

La fédération internationale, a assuré Armstrong, n'a jamais été de mèche avec lui pour camoufler un contrôle positif, malgré les témoignages en ce sens de ses anciens coéquipiers Tyler Hamilton et Floyd Landis. Quant à son don de 125 000$ à l'UCI, il s'agissait d'un simple geste amical.

Armstrong a ensuite soutenu que si une commission «Vérité et Réconciliation» était mise sur pied pour faire la lumière sur ces années noires, il serait le premier à «frapper à la porte» pour témoigner.

Une des particularités de cette commission serait d'amnistier, en tout ou en partie, les coureurs repentants. Pour Armstrong, il s'agit d'une carte intéressante à jouer.

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Pat McQuaid est le président de l'UCI. Dans la foulée des accusations de la USADA, il a mandaté une commission pour faire la lumière sur les relations entre Armstrong et son organisme. Un rapport devait être déposé en juin.

Lundi, McQuaid a unilatéralement mis fin aux travaux de cette commission. Il a affirmé qu'elle serait incapable d'accomplir son travail correctement, n'étant pas appuyée par l'Agence mondiale antidopage (AMA).

Dans un communiqué, McQuaid a ajouté que l'AMA avait donné son accord pour instaurer conjointement avec l'UCI une commission «Vérité et Réconciliation».

Hier, nouveau bouleversement! John Fahey, le président de l'AMA, a affirmé que ces déclarations étaient trompeuses: «L'Agence mondiale antidopage ne s'associera pas à l'Union cycliste internationale aussi longtemps que cette attitude arrogante et unilatérale se poursuivra.»

Avec raison, l'AMA soupçonne l'UCI de vouloir éviter un examen en profondeur de son rôle dans l'affaire Armstrong. «Encore une fois, l'UCI ignore ses responsabilités envers son sport», a ajouté Fahey.

Quelques heures plus tard, McQuaid a répliqué aux propos de Fahey, lui demandant de cesser sa «vendetta personnelle et sa croisade contre le cyclisme».

Non, l'amitié n'est pas au rendez-vous...

Plus que jamais, il est clair que l'UCI doit renouveler sa direction. Ce dernier épisode dénote un manque de jugement troublant.

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Peu importe la suite des choses, le travail de la USADA aura constitué un élément fondamental de la lutte au dopage dans le cyclisme.

Dimanche, au réseau CBS, Tygart a rappelé que les conséquences auraient été graves si la responsabilité d'Armstrong n'avait pas été démontrée.

«Les athlètes auraient conclu que certains d'entre eux étaient trop gros pour échouer, qu'ils pouvaient tricher pour se rendre au sommet. Et que s'ils devenaient assez populaires et assez influents, ils ne seraient jamais tenus imputables de leurs actes.»

L'opiniâtreté de Tygart a bousculé l'univers du cyclisme. Comme la journée d'hier l'a démontré, les secousses de l'affaire Armstrong ne sont pas terminées.