L'histoire est magique. C'est celle d'un jeune homme mordu de baseball qui rêvait de travailler pour une équipe des ligues majeures. Gros défi pour un gars de Montréal n'ayant jamais endossé l'uniforme et ne connaissant personne dans l'industrie.

Son premier boulot, Alex Anthopoulos l'a déniché avec les Expos, en 2000: répondre - bénévolement - au courrier adressé aux joueurs.

«Je travaillais dans un coin du vestiaire, je voyais passer Vladimir Guerrero et je ne faisais pas de bruit», a-t-il raconté à mon collègue Marc Antoine Godin, en 2009, peu après sa nomination au poste de directeur général des Blue Jays de Toronto.

Aujourd'hui, Anthopoulos n'est plus silencieux. Ses décisions font du tapage aux quatre coins du baseball majeur.

En sept petits jours, le gestionnaire de 35 ans a réalisé une mégatransaction de 12 joueurs avec les Marlins de Miami; accordé un contrat de deux ans (16 millions) à Melky Cabrera, un excellent frappeur suspendu 50 matchs pour dopage la saison dernière; et invité un revenant, l'ancien gérant John Gibbons, à prendre les rênes de l'équipe.

Hier matin, à Toronto, Anthopoulos a commenté ces bouleversements dans l'organisation.

On l'aurait imaginé un brin frondeur, heureux d'avoir dépoussiéré une équipe trop longtemps décevante. Pas du tout. Dans cette conférence de presse télédiffusée partout au pays sur Sportsnet, il s'est exprimé avec modestie.

«J'aime notre équipe, mais vous ne m'entendrez pas faire de grandes déclarations à ce sujet, a-t-il dit. Je suis un gars qui aime s'inquiéter. Je ne veux pas me sentir complètement à l'aise, je préfère demeurer aux aguets.»

Pour un directeur général, il s'agit d'une excellente philosophie. Lorsqu'on ajoute 175 millions aux engagements financiers à long terme d'une organisation, mieux vaut ne pas oublier la nature éjectable de son siège! S'il fallait que les Blue Jays se retrouvent à 10 matchs de la tête le 1er septembre...

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Alex Anthopoulos joue gros dans cet échange entre les Blue Jays et les Marlins. En retour d'espoirs, il a obtenu des joueurs de premier plan: l'arrêt-court Jose Reyes ainsi que les lanceurs Josh Johnson et Mark Buehrle.

Cette transaction, combinée à l'acquisition subséquente de Melky Cabrera, fera bondir la masse salariale des Blue Jays de 75 à 125 millions en 2013!

En débarquant en Californie pour la réunion des directeurs généraux, il y a deux semaines, Anthopoulos ne croyait pas conclure une transaction si vertigineuse.

«Je me suis retrouvé dans la suite des Marlins pour parler de Josh Johnson, a-t-il expliqué. Au fil de la conversation, les noms de Jose Reyes et de Mark Buehrle ont été mentionnés. J'ai alors appelé notre président, Paul Beeston, pour lui dire qu'une occasion se présentait à nous...»

Les sommes en jeu étaient colossales et Anthopoulos le savait bien. Beeston lui a néanmoins dit de poursuivre les discussions, pendant que lui-même contacterait les propriétaires de l'équipe, Rogers Communications. Impossible de conclure pareil marché sans leur autorisation.

«Au départ, notre but n'était pas de réaliser une transaction de 12 joueurs, a ajouté Anthopoulos. Mais c'est ainsi que les choses ont tourné...»

Anthopoulos met sa crédibilité en jeu dans cet échange. Aussi a-t-il confié le poste de gérant à un homme qu'il connaît bien, John Gibbons. Celui-ci a occupé le même rôle de 2004 à 2008 lorsque son nouveau patron était DG adjoint. «John communique bien avec les joueurs, mais aussi avec la direction», a-t-il expliqué.

En clair, Anthopoulos ne veut pas que ses efforts soient bousillés par une mauvaise relation avec son gérant. Il met toutes les chances de son côté, même si cette nomination ne fera pas l'unanimité à Toronto.

«Mes meilleures décisions, je les ai toujours prises en me fiant à mon instinct, a-t-il expliqué. Lorsque j'ai accordé trop d'importance à des phénomènes externes, comme la réaction des médias et des fans, je me suis trompé.»

Au cours des sept derniers jours, Anthopoulos a écouté son sixième sens.

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Le DG des Blue Jays n'a pas oublié ses racines montréalaises. En conférence de presse, il a répondu avec générosité à deux questions en français. Il a même taquiné son nouveau gérant en lui demandant s'il voulait aussi prendre la parole. Gibbons, originaire du Montana, a décliné l'invitation en riant.

Depuis que Claude Brochu a quitté la présidence des Expos en 1999, aucun Québécois n'a assumé des responsabilités aussi importantes que celles d'Anthopoulos dans le baseball majeur.

«C'est merveilleux de le voir ainsi tailler sa place, lance Brochu. Il a fait ses classes, a appris et s'est bâti un bel avenir.»

Claude Brochu n'était plus avec les Expos lorsqu'Anthopoulos y a obtenu son premier boulot. Mais il sait à quel point son concitoyen a travaillé avec acharnement pour atteindre ce rôle-clé.

Un Québécois qui brille dans les majeures huit ans après le départ des Expos, et de surcroît dans un rôle administratif, c'est plutôt exceptionnel.

Alex Anthopoulos n'est pas un type banal. On verra bientôt si son audace sera récompensée.