Cette fois, ça fait mal pour vrai.

L'annulation des matchs jusqu'au 30 novembre est une mauvaise nouvelle pour les propriétaires et les joueurs. Pour Gary Bettman et Donald Fehr. Pour Geoff Molson et Francis Bouillon. Et on peut ajouter des dizaines de noms à cette liste.

Ils sortiront tous écorchés de cette triste aventure. Dommage que les deux parties n'aient pas écouté le conseil de Barack Obama, mercredi, à l'émission de Jay Leno: «Trouvez un terrain d'entente. Les amateurs le méritent».

Les amateurs? Ils ne sont pas au coeur de leurs priorités, les amateurs! Surtout pas celles des propriétaires, pas fichus de nous expliquer pourquoi ce conflit est nécessaire. Leur discrétion rappelle le titre d'un film: Le silence des agneaux.

Parce qu'ils ont accordé les pleins pouvoirs au commissaire, qui peut dicter sa ligne de conduite avec l'appui de seulement huit propriétaires sur 30, ceux-ci ont perdu le contrôle de leur investissement. Le règlement 17.17 de la LNH leur interdit de s'exprimer publiquement sur le conflit.

Pourquoi? Parce que Gary Bettman ne leur fait pas confiance. «Mon adjoint Bill Daly et moi sommes les mieux placés pour discuter de ces enjeux», a-t-il expliqué, en septembre dernier.

Les discussions sont-elles plus vives au sein du Bureau des gouverneurs? On peut en douter. Chose sûre, Bettman n'a consulté que les quatre propriétaires l'accompagnant avant de rejeter sèchement les contre-propositions des joueurs la semaine dernière. Cela donne l'étendue de son pouvoir.

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Prenons l'exemple de Geoff Molson, le propriétaire du Canadien. Sauf pour quelques remarques anodines à la mi-septembre, il ne s'est pas adressé une seule fois aux partisans depuis le début des négociations.

(Un des effets collatéraux de cette situation, c'est qu'après six semaines de conflit, les fans du Canadien n'ont pas entendu un dirigeant de la LNH expliquer en français la position patronale. Les joueurs, de leur côté, comptent sur Mathieu Darche et Martin Biron pour faire écho à leur position.)

Le silence de M. Molson n'est pas unique, bien au contraire. J'espère néanmoins que ce véritable passionné de hockey travaille en coulisse pour convaincre Gary Bettman de montrer plus d'ouverture dans les négociations. À moins que sa courageuse prise de position dans l'affaire Chara-Pacioretty en mars 2011 ne l'ait placé sur la liste noire du commissaire.

Le Canadien, comme plusieurs autres organisations, ne profitera pas du lock-out. Pourtant, à première vue, une baisse de 10 millions du plafond salarial augmenterait d'autant les profits de l'équipe. Mais la réalité est plus nuancée.

Peu importe le règlement final, le partage des revenus entre les équipes riches et les autres sera bonifié. Gary Bettman propose de hausser l'enveloppe de 150 à 200 millions. Le Canadien versera donc plus d'argent dans cette caisse centrale au cours des prochaines années.

Au bout du compte, les joueurs ayant déjà accepté le principe d'un partage 50-50 des revenus dans cinq ans, on voit mal quel avantage le Canadien et les autres équipes canadiennes tirent de l'intransigeance de Bettman.

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La solidarité des joueurs tiendra-t-elle le coup sous cette intense pression?

Pour la première fois aujourd'hui, la véritable conséquence du lock-out devient concrète pour eux. Il est désormais certain qu'ils ne toucheront pas tout leur salaire en 2012-2013.

Un joueur comme Francis Bouillon, dont la carrière tire à sa fin, devait être payé 1,5 million cette année. Il est assuré d'en perdre une partie, et risque de ne pas en voir la couleur si la saison est annulée.

Partout dans la LNH, plusieurs joueurs sont dans des situations semblables. Demanderont-ils à leurs représentants de trouver un règlement au plus vite?

Sur le plan de l'équité, les joueurs ont pourtant raison de tenir leur bout. Mathieu Schneider, un des adjoints de Donald Fehr, l'a bien expliqué cette semaine.

«Rien dans l'offre de la LNH ne nous avantage par rapport à l'ancienne convention collective. Les propriétaires veulent uniquement des concessions de notre part. Nous devons mettre nos limites.»

En 2004-2005, la LNH a consenti des améliorations au plan normatif pour adoucir les compressions salariales. Ce n'est pas le cas cette fois-ci, même si la ligue engrange des revenus records. Cette inflexibilité explique le prolongement du conflit.

Même dans les négociations les plus dures du sport professionnel, humilier l'autre partie n'est pas une stratégie gagnante.

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Les Devils du New Jersey ont remporté la Coupe Stanley en 1995. Qui se souvient qu'ils ont réalisé leur exploit au terme d'une saison dont le coup d'envoi avait été donné... le 20 janvier?

Cette année-là, une entente mettant fin au lock-out avait été conclue au cours de la deuxième semaine de janvier. Le calendrier régulier a été réduit à 48 matchs, mais les séries éliminatoires ont été disputées au complet.

C'est donc dire qu'il reste deux mois pour conclure un accord permettant la tenue de la saison 2012-2013 et le couronnement d'un champion de la Coupe Stanley.

Cela se produira peut-être. Mais personne ne devrait déboucher le champagne si une solution est trouvée.

Gary Bettman aura stoppé l'élan de la LNH, en plus de briser ses liens avec les joueurs.

Donald Fehr aura, à tort ou à raison, renforcé sa réputation d'homme intraitable.

Des clubs auront des ennuis à renouer le contact avec les partisans.

Les joueurs auront perdu beaucoup d'argent.

Bref, ils seront tous perdants.