La LNH me fait penser à un luxueux bateau de croisière prenant l'eau au milieu de l'océan et dont le capitaine n'a qu'une seule préoccupation: la décoration du salon au pont principal.

Voilà l'impression laissée par l'annonce d'hier, officialisant le transfert des Islanders de New York à Brooklyn. Difficile de trouver un moment plus inapproprié pour communiquer une nouvelle dont les effets se ressentiront... en septembre 2015!

Sur quelle planète vivent les dirigeants de la Ligue nationale?

Au moment où un conflit de travail menace la présentation de la saison, et où les amateurs se sentent floués par cette querelle de riches, Gary Bettman consacre son temps à célébrer l'entente entre les Islanders et les propriétaires du Barclays Center.

C'est le même Gary Bettman qui a rejeté sur-le-champ les contre-propositions des joueurs, la semaine dernière, à Toronto.

C'est le même Gary Bettman qui, à quelques heures de l'échéance d'aujourd'hui pour sauver l'intégralité de la saison, tarde à organiser une réunion avec Donald Fehr.

La LNH n'éprouve manifestement pas de sentiment d'urgence. Comme si le lock-out n'était qu'un dossier parmi d'autres.

Aux quatre coins de la LNH, c'est business as usual, pour reprendre l'expression consacrée. Et les derniers jours l'illustrent bien.

Tenez, les Islanders confirment leur déménagement de Long Island à Brooklyn; les Blue Jackets de Columbus annoncent la nomination de John Davidson au poste de président; le Canadien dévoile aux médias ses projets immobiliers à grands coups de olé olé dans ses campagnes publicitaires...

Et Bill Daly, le suave adjoint de Bettman, explique que la LNH ne pense pas rencontrer de nouveau les joueurs, puisque ceux-ci refusent d'accepter l'offre du circuit.

Les joueurs ont raison de dire que Bettman ne veut pas négocier. Il attend leur reddition.

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Dans ces circonstances, faut-il se surprendre des résultats de notre sondage CROP sur le conflit de travail?

Un chiffre est dévastateur: 60% des répondants estiment que les propriétaires n'ont pas à coeur les amateurs de hockey. C'est énorme. À peine 18% des gens pensent le contraire.

Si j'étais Geoff Molson, je transmettrais vite cette information à mes collègues. Lorsque le lien de confiance se rompt, il devient difficile de réparer les dégâts.

D'autres chiffres confirment à quel point Bettman et les propriétaires souffrent d'un manque de crédibilité. Ainsi, 77% des Québécois affirment que les joueurs sont trop payés.

Dans ces circonstances, on pourrait croire que les amateurs se rangeraient massivement derrière les propriétaires dans ce conflit. Après tout, leur objectif est de diminuer les revenus des joueurs.

Étonnamment, on observe la situation inverse. Une majorité de répondants (54% vs 46%) appuient la position des joueurs!

Lorsqu'un conflit touche le sport professionnel, il est rare que les amateurs ne se rangent pas derrière les patrons. Pourquoi? Simplement parce que les salaires des joueurs sont connus, ce qui les transforme en cibles faciles. Les équipes, elles, gardent secrets leurs véritables profits.

Un exemple: on sait que Scott Gomez gagne 7,3 millions par saison et offre en retour des performances détestables. Mais qui connaît les états financiers du Canadien? S'ils étaient dévoilés, combien de gens estimeraient toujours justifié l'appui sans réserve de l'organisation au lock-out?

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Le proverbe est archiconnu: loin des yeux, loin du coeur. Cela s'applique aussi aux matchs de la LNH.

Selon notre sondage CROP, 58% des Québécois ne s'ennuient pas du tout du hockey. Et près d'un répondant sur trois estime que son intérêt pour la LNH diminuera si le conflit perdure.

On peut croire que dans plusieurs marchés américains, où le hockey est moins solidement implanté, les résultats d'un sondage semblable seraient encore plus inquiétants pour les dirigeants du circuit.

Gary Bettman a commis une gaffe de relations publiques en déclarant, l'été dernier, que les amateurs avaient été au rendez-vous après le conflit de 2004-2005 parce qu'ils étaient «les meilleurs fans du monde».

Cette attitude explique en partie pourquoi il n'est pas pressé de régler le conflit actuel. Le commissaire est convaincu que peu importe la durée du conflit, la passion du hockey reprendra vite lorsque la rondelle sera mise au jeu.

Bettman a peut-être raison. Mais il pourrait aussi être surpris. Ce conflit risque de laisser des traces.

Donald Fehr, qui tarde aussi à mettre de l'eau dans son vin, a bien expliqué l'incompréhension des amateurs: Bettman n'a pas justifié les motifs de ce lock-out, sauf pour dire que les joueurs de la NBA avaient accepté une diminution de leur pourcentage de revenus l'année dernière. Et que ceux de la LNH devaient les imiter.

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Bon, cela dit, le dossier des Islanders est réglé. J'aurai l'occasion d'y revenir puisqu'il s'agit d'un développement intéressant, mais annoncé au mauvais moment. (En passant, les gens de Québec n'ont pas à s'en faire avec cette nouvelle. Jamais la LNH n'aurait accepté que les Islanders quittent le grand marché de New York. Le coup à son prestige aurait été trop grand.)

Maintenant que l'avenir des Islanders est réglé et que la LNH s'est taillé une place au Barclays Center, est-ce trop demander à Gary Bettman de consacrer toutes ses énergies à régler le lock-out?