Peu après sa quatrième conquête du Tour de France en 2002, Lance Armstrong convoque son jeune coéquipier américain Christian Vande Velde à son appartement de Gérone, en Espagne. L'objectif: discuter de son rôle au sein de la formation.

En frappant à la porte du grand champion, Vande Velde constate que Michele Ferrari, le médecin italien qui conseille Team US Postal en matière de dopage, est aussi présent.

Armstrong va droit au but: s'il veut demeurer dans l'équipe, Vande Velde devra respecter les consignes du célèbre docteur.

«La conversation ne m'a laissé aucun doute, dit Vande Velde. J'étais tombé en disgrâce. La seule manière de poursuivre ma carrière avec l'équipe d'Armstrong, c'était de suivre à la lettre le programme de dopage de Ferrari.»

L'ennui, c'est que Vande Velde déteste se doper. Bien sûr, il a constaté l'impact positif des drogues sur ses performances. Mais les aiguilles lui foutent la trouille. Et il craint de se faire prendre.

Le côté clandestin du dopage, la nécessité de garder le secret et les ennuis potentiels de santé liés à l'absorption d'EPO le font également frémir.

«Je n'étais pas le patient modèle, explique-t-il. Je suivais le programme de Ferrari pendant quelque temps, puis je cessais sans le prévenir.»

Mais cette fois, c'est Armstrong qui l'interpelle. Vande Velde comprend ne pas avoir le choix. Le grand champion a tranché. Il doit obéir à «Schumi», comme Ferrari est surnommé au sein de l'équipe. Il s'agit, bien sûr, d'une allusion à Michael Schumacher, le pilote de Formule 1 qui court alors pour la Scuderia.

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Ce témoignage bouleversant se retrouve dans les documents dévoilés par l'Agence américaine antidopage (USADA), mercredi, dans l'affaire Lance Armstrong.

La lecture de la décision de 200 pages, combinée à celle des affidavits de témoins comme Vande Velde, fait dresser les cheveux sur la tête.

On comprend vite pourquoi Armstrong a refusé de contester la décision de l'USADA, qui demande à l'Union cycliste internationale (UCI) de le dépouiller de ses sept victoires au Tour de France.

Une audience publique aurait non seulement donné un plus grand retentissement à ses mensonges, mais aurait aussi mis en lumière sa propension à intimider les gens se retrouvant sur son chemin.

L'enquête de l'USADA trace le portrait d'un homme qu'on ne souhaite pas proposer en modèle aux enfants. Se doper, c'est une chose. User de son influence pour que d'autres coureurs trichent aussi, c'est plus grave.

Les témoignages mettant en cause Armstrong ont tous été livrés sous serment. Ne pas dire la vérité aurait rendu les membres de son ancien entourage coupables de parjure.

George Hincapie, longtemps le plus fidèle soldat d'Armstrong, est un de ceux ayant levé le voile sur le dopage systématique au sein du groupe.

Hincapie est le seul coéquipier d'Armstrong à l'avoir accompagné dans ses sept victoires au Tour de France. Il affirme que son leader s'est soumis à des transfusions sanguines, consommé de l'EPO, en plus de lui en procurer.

Hincapie n'est pas motivé par la vengeance. Encore aujourd'hui, selon l'Agence, il éprouve du respect pour le talent sportif d'Armstrong et sa capacité à vaincre l'adversité.

«Hincapie n'a aucun doute qu'Armstrong s'est dopé, dit l'USADA. Conséquemment, personne ne devrait en douter non plus.»

Les relations d'Armstrong avec Tyler Hamilton, un autre de ses ex-lieutenants, sont plus corsées. Dans son affidavit, Hamilton raconte comment Armstrong l'a apostrophé dans un restaurant d'Aspen, au Colorado, en juin 2011.

Trois semaines plus tôt, le réseau CBS avait diffusé une entrevue dans laquelle Hamilton racontait la culture de dopage au sein de l'équipe.

Hamilton ne voulait pas croiser Armstrong ce jour-là. En fait, il avait même vérifié son emploi du temps sur son site internet afin de s'assurer qu'il ne serait pas au Colorado! «Je revenais des toilettes lorsque Lance m'a saisi par le bras, raconte Hamilton. Il m'a dit qu'il transformerait ma vie en enfer.»

Avec ce récit qui se lit comme un roman, l'USADA affirme démontrer «au-delà de tout doute raisonnable» que la carrière d'Armstrong a été propulsée par le dopage.

Les signataires ajoutent: «Sa décision de ne pas participer à une audience publique est très révélatrice».

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«C'est de l'or liquide!»

Voilà comment Armstrong a décrit l'EPO en 1999, après avoir pris possession d'une livraison dans un restaurant du sud de la France. En fait, le repas avec des amis avait été retardé puisque son courrier jugeait plus sécuritaire de franchir en soirée la frontière franco-espagnole.

Les transfusions sanguines ont commencé un an plus tard. Avant le Tour de France de 2000, Armstrong, Hamilton et Kevin Livingston, un autre coureur de l'équipe, ont pris un vol privé pour Valence. Dans une chambre d'hôtel, le docteur Ferrari, secondé par d'autres, a extrait le sang qui leur serait réinjecté plus tard.

Dans son appartement espagnol, Armstrong cachait un petit réfrigérateur dans la penderie de sa chambre. C'est là qu'il conservait les sacs de sang.

En 2005, après sa septième victoire au Tour de France, Armstrong ne retourna pas en Espagne. Johan Bruyneel, le directeur sportif de l'équipe, demanda alors à Hincapie, qui s'y trouvait, de passer au peigne fin l'appartement du champion. Il voulait être sûr que «rien ne s'y trouvait».

«J'ai compris que Johan voulait s'assurer qu'il n'y avait aucun matériel de dopage», dit Hincapie.

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Voilà la nouvelle version de la carrière de Lance Armstrong. La vérité a enfin éclaté. Pour lui, l'or liquide s'est transformé en boue.

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