Si les dirigeants de la LNH ne s'étaient pas montrés si provocateurs, vous liriez une chronique bien différente aujourd'hui.

Nous serions à quelques heures de l'ouverture de la saison du Canadien. L'ambiance serait du tonnerre, comme c'est toujours le cas avant le premier match du calendrier régulier.

On aurait tous hâte de surveiller le travail de Michel Therrien derrière le banc. Et on discuterait d'enjeux liés au sport: P.K. Subban deviendra-t-il un joueur d'exception? Carey Price est-il l'un des cinq meilleurs gardiens du circuit? Alex Galchenyuk mérite-t-il une place dès cette saison?

Mais le Centre Bell sera vide ce soir. Et au lieu d'évoquer les chances du Canadien de participer aux séries éliminatoires, on parle encore de lock-out. Ce n'est pas le sport favori des amateurs, mais assurément celui de Gary Bettman.

En matière de relations de travail, le commissaire crée du droit nouveau dans le sport professionnel. Dans son esprit, le renouvellement d'une convention collective nécessite obligatoirement un lock-out prolongé.

Bettman, bien sûr, n'apprécie pas cette analyse. Dans une entrevue au Globe & Mail de Toronto le week-end dernier, il a rappelé que la NBA et la NFL sont aussi passées par là l'an dernier. Et que le baseball avait été secoué par huit conflits de travail.

Au niveau des faits, Bettman a raison. Mais il a commodément oublié de mentionner l'impact réel de ces conflits sur les amateurs.

Dans la NFL, par exemple, le lock-out de 2011 a été décrété après le Super Bowl. Et une entente est survenue avant l'ouverture des camps d'entraînement six mois plus tard. Impact zéro pour les amateurs.

Au baseball, cinq arrêts de travail (1973, 1976, 1980, 1985 et 1990) n'ont pas empêché la tenue d'une saison complète. Et celui de 1972 n'a retranché que six matchs au calendrier de chaque équipe.

Les conséquences du conflit de 1981 ont été plus sévères, mais pas autant que celles de 1994. La grève déclenchée le 12 août a annulé la présentation de la Série mondiale.

De tout ceci, quatre conclusions s'imposent:

1- La paix industrielle règne dans le baseball majeur depuis près de 20 ans. La bataille rangée de 1994 a jeté les bases d'un système solide, qui satisfait à la fois les propriétaires et les joueurs. La LNH n'a pas profité de la même façon du lock-out de 2004-2005.

2- La NFL, contrairement à la LNH, a eu la bonne idée de négocier et de s'entendre avec ses joueurs durant la saison morte.

3- La NBA, avec deux conflits depuis 1998, a navigué en eaux troubles. Mais pas autant que la LNH.

4- Sous le régime Bettman, la ligne dure est la seule qui tienne dans la LNH. Les lock-out de 1994-1995, 2004-2005 et 2012-2013 ont tous affecté le calendrier régulier.

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Ce constat ne signifie pas que Bettman s'est trompé sur toute la ligne, loin de là. Mais plutôt qu'il ne sait pas où s'arrêter.

En 1994, à peine entré en poste, Bettman a voulu imposer un plafond salarial. Sans succès. Les propriétaires l'ont lâché en janvier et un calendrier de 48 matchs a été présenté.

Puis, en 2004, sa ténacité a conduit à des réformes originales, qui ont valu à la LNH un essor remarquable au cours des sept saisons suivantes.

Bettman aurait dû saisir cet acquis pour établir une paix durable avec les joueurs. Et consolider la croissance de son circuit. Il est plutôt l'instigateur d'un conflit absurde, qui fera très mal à la LNH s'il n'est pas résolu rapidement.

Pourquoi le commissaire agit-il ainsi? Certainement pas en raison de l'augmentation du prix du carburant pour les vols nolisés des joueurs. Cet argument risible, il le répète pourtant à la moindre occasion.

Je crois plutôt que Bettman veut préserver son héritage, soit l'implantation d'équipes dans le sud des États-Unis. Personne n'a oublié sa mine défaite lorsqu'il a annoncé le transfert des Thrashers d'Atlanta à Winnipeg. Il ne veut pas revivre cette situation.

Les propriétaires des équipes riches ne voulant pas partager plus de revenus avec les organisations fragiles, Bettman essaie de refiler la facture aux joueurs. Tout le conflit se résume à ça.

Voilà pourquoi Donald Fehr n'est pas pressé de soumettre une nouvelle offre à Bettman, malgré ses demandes pressantes à cet effet. Fehr flaire le piège: la LNH veut obtenir des concessions sans rien offrir en retour.

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Cette semaine, dans une entrevue au Toronto Star, Fehr a remis en cause le maintien du plafond salarial. Pour l'instant, il s'agit d'une tactique de négociation. Mais si le dossier demeure bloqué, les joueurs seront tentés de proposer cette avenue.

À la mi-septembre, Bettman avait mis Fehr en garde contre cette idée: «Ce ne serait pas un développement positif. Ça défierait la logique».

Mais Fehr ne s'en laissera pas imposer. Il a quelques bons arguments dans sa poche, dont le succès du baseball majeur.

Tenez: avec leur masse salariale de 55 millions, les Athletics d'Oakland ont terminé au premier rang de leur division cette saison. Ils ont devancé les Rangers du Texas, 121 millions en salaires, et les Angels de Los Angeles, 154 millions.

Bizarre à dire. Mais pour sortir du gâchis actuel, il faudra peut-être quelques propositions-choc, qui ramèneront le gros bon sens à la table des négociations.