Gary Bettman sait jouer dur. Cette fermeté lui a permis de traverser plusieurs tempêtes durant ses 19 saisons à la barre de la LNH. Mais cette fois, le commissaire semble se diriger droit dans un mur.

Comme en 2004-05, Bettman attaque les joueurs de front. Il veut réduire leurs salaires de manière importante et leur retirer plusieurs avantages. Il utilise les plus vieilles menaces du manuel patronal de négociations: mieux vaut accepter l'offre sur la table dès maintenant, prévient-il, car elle disparaîtra le jour où un lock-out sera décrété.

Fort de son succès il y a sept ans, Bettman n'a pas modernisé son répertoire. Son approche est exactement la même. Peut-être qu'il finira par remporter la mise, peut-être que les joueurs finiront par plier. Mais rien n'est moins sûr.

Le contexte de 2012 est complètement différent de celui ayant entraîné le premier lock-out. D'abord, la LNH est en meilleure santé financière. Ses revenus atteignent des niveaux records. Si certaines équipes éprouvent des ennuis, d'autres villes, comme Québec, rêvent de les accueillir.

Plus important encore: le vis-à-vis de Bettman n'est plus Bob Goodenow, un homme qui n'a pas pas fait le poids face à la détermination du commissaire lors du dernier conflit.

Cette fois, c'est Donald Fehr qui se retrouve devant lui. Fallait le voir, en fin d'après-midi hier, expliquer d'un ton calme la position des joueurs pour comprendre que ceux-ci ne baisseront pas les bras de sitôt.

Fehr n'a pas perdu de bataille lorsqu'il dirigeait l'Association des joueurs du baseball majeur. Et il n'entend pas terminer sa carrière sur un échec au hockey.

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Comment expliquer le blocage actuel? La réponse est simple. Les deux parties ne parlent pas le même langage.

Au fond, l'enjeu de ces négociations est simple: donner de l'air aux équipes en difficulté et éviter, dans une économie incertaine, d'augmenter leur nombre.

Pour atteindre ces objectifs, les propriétaires proposent une solution facile: diminuer de manière marquée les salaires des joueurs. À eux de faire leur juste part, pour reprendre l'expression consacrée.

Ceux-ci n'analysent pas les choses du même oeil. Voulant conserver leur chèque de paie au niveau actuel, ils suggèrent plutôt d'accorder aux propriétaires une plus grande part de l'augmentation prévue des revenus de la ligue.

En négociations, il est normal que les approches des patrons et des syndicats soient différentes. Mais survient un moment où il faut concilier les préoccupations des uns et des autres. Aussi longtemps qu'on demeure incapable de s'entendre sur des principes de base, il est impossible de rédiger des clauses acceptables pour les deux partenaires.

Hélas pour les amateurs, les propriétaires et les joueurs n'en sont pas là. Pendant un bref moment hier, on a cru qu'ils échangeaient proposition et contre-proposition. Ce n'était pas le cas.

Les joueurs ont simplement déposé une version améliorée de leur propre concept. Et c'est exactement ce que les propriétaires ont fait par la suite. Bref, personne n'a encore réfléchi à une solution qui n'est pas la sienne. Les deux parties en sont toujours au stade où elles considèrent que seules leurs propres idées peuvent servir de base de règlement.

Conclusion: on parle beaucoup autour de la table des négociations, mais on écoute moins bien!

Aussi longtemps que les propriétaires et les joueurs ne s'entendront pas sur une approche commune, un rapprochement sera difficile.

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En choisissant une manière classique de négocier, Bettman fait un pari dangereux. La LNH a connu une formidable progression au cours des dernières années. Mais ses acquis demeurent fragiles dans plusieurs régions des Etats-Unis, là où il a choisi de développer le circuit.

En 2004-05, les joueurs ont accepté une diminution de 24% de leurs salaires. On ne leur fera pas le coup deux fois, surtout dans un contexte d'augmentation des revenus de la ligue.

Si un lock-out est décrété samedi soir, plusieurs propriétaires auront des ennuis à motiver cette décision. Geoff Molson, par exemple, devra déployer toute son expérience en relations publiques pour convaincre les amateurs que le Canadien et les autres équipes canadiennes courent à leur perte dans le système actuel.

Les joueurs et les partisans ne sont pas dupes. Ils savent bien que Bettman et la LNH ne remplissent pas la première condition de la crédibilité: appuyer les paroles par des gestes.

La LNH soutient éprouver des problèmes financiers, mais accorde des contrats de 100 millions à Zach Parise, Ryan Suter et Shea Weber.

La LNH affirme que la durée des contrats des joueurs ne devrait pas dépasser cinq ans, mais consent des ententes beaucoup plus longues à plusieurs joueurs.

La LNH exige que la pleine autonomie ne soit acquise qu'après dix saisons plutôt que sept, mais transforme en grand happening médiatique la période de signature du 1er juillet.

La LNH éprouve un problème important avec son message. En 2004-05, tout était limpide. Avec raison, la LNH souhaitait implanter un plafond salarial. Cette fois-ci, rien n'est clair.

Et lorsqu'une organisation n'arrive pas à justifier ses demandes dans l'opinion publique, c'est souvent parce que celles-ci ne reposent pas sur une base solide.

Voilà pourquoi Gary Bettman joue gros ces jours-ci. S'il impose un lock-out inutile et que la saison 2012-13 est annulée, les propriétaires lui pardonneront-ils ce choix aux graves conséquences?

Photo: PC

En choisissant une manière classique de négocier, Gary Bettman fait un pari dangereux.