On savait tous que la LNH cognerait fort dans ses négociations avec les joueurs. Mais pas à ce point. Rééquilibrer le partage des revenus, c'est une chose ; passer au hachoir la convention collective des sept dernières années, c'en est une autre.

Le coup d'envoi a été donné le mois dernier lorsque Gary Bettman a déposé la proposition des propriétaires, une véritable déclaration de guerre.

À tous les niveaux, le commissaire a exigé des reculs majeurs : pourcentage des revenus versés aux joueurs (43% plutôt que 57%) ; nombre de saisons pour obtenir l'autonomie sans compensation (10 plutôt que sept) ; abolition de l'arbitrage salarial ; contrats limités à cinq saisons, alors que des équipes ont librement consenti des ententes de 13 et 14 ans cet été ; et élimination des bonis de signature.

Derrière ces demandes, il y avait aussi un message aux joueurs, vite décodé par Donald Fehr : la LNH, malgré des revenus nettement en hausse depuis trois ans, leur demande de sauver les concessions en difficulté.

Quelques jours plus tard, Bettman a achevé de durcir la position patronale. Il a affirmé qu'un lock-out serait décrété le 15 septembre si une nouvelle convention collective n'était pas signée. Ce n'était pas une surprise en soi, mais le désir d'augmenter la pression était évident.

Bettman sait très bien que les demandes des propriétaires sont inacceptables pour les joueurs. Mais il croit qu'en serrant l'étau, ceux-ci finiront par céder. Sa stratégie se fonde sur ses propres expériences à la tête du circuit.

Pour bien comprendre, il faut examiner le passé.

En 1994-1995, un conflit de travail a réduit à 48 matchs le calendrier régulier de la LNH. Les proprios exigeaient l'implantation d'un plafond salarial. Au bout du compte, ils ont abandonné leur demande. Ce fut une victoire pour les joueurs. Au cours des saisons suivantes, leurs salaires ont explosé.

Ce coup-là, Bettman s'est juré qu'on ne lui ferait pas deux fois. À l'été 2004, lorsqu'une nouvelle ronde de négociations a commencé, il a convaincu les proprios de maintenir la ligne dure jusqu'au bout. Cela a conduit à l'annulation de la saison.

Ce scénario semblait pourtant improbable. Les joueurs croyaient qu'une entente surviendrait et qu'une saison écourtée serait disputée. Bettman n'a jamais regretté son inflexibilité. Il a ainsi changé le modèle économique du hockey. Et la LNH a connu des saisons prospères.

Tous ceux qui le connaissent disent la même chose : Bettman est un homme brillant, mais très dur. En négociations, il est intraitable. Et ne se compte jamais pour battu.

Mais cette fois, il se retrouve confronté à Donald Fehr, le nouveau directeur de l'Association des joueurs. Pendant plus de 20 ans, cet avocat américain a été à la tête de l'Association des joueurs de baseball.

Fehr a gagné toutes ses batailles de relations de travail. Dans le sport professionnel nord-américain, les baseballeurs sont de loin les joueurs les mieux traités. Cela ne relève pas du hasard. Il a réussi à maintenir leur solidarité dans les moments les plus tendus.

Sa renommée, Fehr ne la bousillera pas en s'agenouillant devant Bettman comme son prédécesseur l'a fait en 2005.

Au début du mois, Fehr s'est rendu à Barcelone où il a rencontré 40 joueurs européens afin de les tenir au parfum des événements. Cette semaine, il était flanqué de plusieurs vedettes, dont Sidney Crosby et Alexander Ovechkin, en présentant la proposition des joueurs.

Fehr envoie ainsi un message clair à Bettman: nous sommes unis. Son défi sera d'éviter les défections si un éventuel conflit se prolonge.

Cet affrontement entre Fehr et Bettman est un combat de titans. Les deux hommes ont la confiance absolue de leur clan respectif. Imaginatifs, ils connaissent à fond l'industrie du sport professionnel.

Hélas, ce n'est jamais facile pour deux premiers de classe, aux vues si diamétralement opposées, de trouver un terrain d'entente.

Gary Bettman a écarté d'un revers de main la contre-offre des joueurs. Ce n'est pas étonnant. La stratégie de Fehr ne pouvait que choquer l'orgueilleux commissaire.

Pourquoi ? Parce qu'elle contourne les demandes initiales de Bettman et suggère plutôt une nouvelle approche dans l'établissement du plafond salarial.

En clair, Fehr propose de briser le lien entre l'augmentation des revenus de la LNH et celle du plafond salarial. Au cours des trois prochaines années, une hausse pré-établie déterminerait le nouveau plafond : 2%, 4% et 6%.

Si les revenus de la LNH croissent au-delà de ce taux, ce qui fut le cas au cours des dernières annés, les sommes générées bonifieraient le partage des revenus entre les équipes à hauts et bas revenus. Ce modèle n'emballe sûrement pas le Canadien ou les autres équipes riches.

Ce plan comporte aussi un élément d'incertitude. Rien ne garantit que les récentes hausses de revenus de la LNH se répéteront au cours des prochaines années. Il est aussi tributaire de la valeur du dollar canadien. Une baisse d'appréciation du huard face à la devise américaine diminuerait forcément les revenus globaux de la ligue.

N'en reste pas moins que la proposition de Fehr est originale et mérite d'être étudiée. Car si Bettman veut absolument gagner sur tous les tableaux comme en 2005, un conflit est inévitable.