Le lundi 13 août, ses vacances terminées, Sylvie Danis reprendra son travail à la Société de transports de Montréal. Elle conduira l'autobus 69, qui circule sur le boulevard Gouin. La routine, pour cette chauffeuse d'expérience.

Quelque chose aura toutefois changé depuis la dernière fois qu'elle a pris le volant. Sylvie Danis est désormais la mère d'une médaillée olympique.

Au cours des dernières semaines, en dirigeant son lourd véhicule dans les rues de Montréal, Mme Danis a souvent aperçu la photo de sa fille sur des panneaux publicitaires. En éprouvant à chaque fois un immense sentiment de fierté.

«Je suis tellement contente pour elle, lance la mère de Jennifer Abel. La piscine, c'est sa deuxième maison. C'était si beau de la voir sur le podium dimanche. C'est sa passion qui l'a conduite là.»

À ses côtés, son mari Jacques Abel ajoute: «Ma gorge était serrée. J'en parle et j'en ai encore des frissons.»

M. Abel est arrivé au Québec en 1972, à 11 ans. Originaire d'Haïti, il portait des culottes courtes et n'avait pas de manteau. Le problème, c'est qu'on était en février. «J'ai eu besoin d'une semaine avant que mon corps dégèle!», lance-t-il en riant.

Jennifer est la plus jeune des deux enfants du couple. «On dit souvent qu'il ne faut pas trop pousser ses enfants en sport, dit M. Abel. Peut-être, mais moi, je voulais un encadrement pour les miens. Je n'avais pas le goût qu'ils traînent au parc avec des amis. Dans la vie, il faut travailler.»

Ces mots à peine prononcés, Jennifer aperçoit ses parents. Nous sommes dans une petite salle de la Maison du Canada, à Trafalgar Square. Dans quelques minutes, le Comité olympique canadien honorera Jennifer et Émilie Heymans, médaillées de bronze en synchro, au tremplin de 3 mètres.

Jennifer leur fait la bise et entoure leurs épaules de ses bras. Elle sait combien ses parents ont contribué à ses succès. Et comprend la fierté qu'ils en retirent aujourd'hui.

Plus tard, pendant que Jennifer est aspirée dans une nouvelle ronde d'entrevues, Mme Danis ajoute: «Un mois avant les Jeux, Jenn m'a demandé mon avis sur un entraînement auquel j'avais assisté. Ça n'avait pas été son meilleur et je lui ai dit. Elle a été un peu surprise. Mais j'ai préféré lui donner l'heure juste. Il faut être honnête avec ses enfants.»

Mme Danis assure que malgré ses succès, Jennifer demeurera terre à terre. Après avoir rencontré ses parents, je n'en doute pas une seule seconde.

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Une piscine de l'Île-des-Soeurs, au milieu des années 1980. Émilie Heymans a 5 ans. Son père, Éric, l'aperçoit sur un tremplin trop élevé pour une enfant de son âge. Déjà dans l'eau, il s'approche afin d'être près d'elle si elle saute.

Au bout d'un moment, Émilie fait demi-tour. Papa est rassuré. Sa fille ne prendra aucun risque inutile. Mais soudain, elle change de nouveau de direction, prend son élan... et plonge!

«Émilie n'a pourtant jamais rien eu d'une kamikaze, explique M. Heymans. Mais on a vite su qu'elle était douée en plongeon. Peu après ses débuts à l'âge de 12 ans, elle remportait des championnats. Les habiletés qu'elle avait acquises en gymnastique l'ont aidée.»

Éric Heymans et sa femme Marie-Paule ont vu leur fille monter sur le podium, dimanche, au Centre aquatique.

«On était un peu inquiets après leur deuxième plongeon, reconnaît M. Heymans. En synchro, les Chinoises ont une longueur d'avance. Ensuite, c'est très serré entre les deuxième et cinquième places. Mais on a été rassurés par leur quatrième plongeon. Il est très spectaculaire et elles l'ont bien réussi.»

Durant leur jeunesse, les parents d'Émilie ont fait du sport de haut niveau en Belgique. Marie-Paule a participé aux Jeux olympiques de Montréal, en 1976, terminant neuvième au fleuret. Éric, lui, a été membre de l'équipe nationale junior de soccer.

Tous deux professeurs d'éducation physique, ils ont participé à un échange d'enseignants avec le Québec à la fin des années 1970. «On a eu un coup de coeur, explique Éric. Nous avons fait une demande d'immigration et on s'est installés ici pour de bon.»

Sans surprise, Émilie et sa soeur aînée Severine ont vite développé le goût du sport. Mais la réussite scolaire a toujours fait partie des valeurs familiales.

«Émilie n'a jamais voulu être reconnue uniquement comme une plongeuse, dit Éric. Il y a un danger lorsque le sport est le seul centre d'intérêt d'une jeune athlète: si sa carrière va mal, toute sa vie va mal.»

Malgré son exigeant horaire d'athlète, Émilie Heymans a obtenu un baccalauréat en commercialisation de la mode.

«À l'UQAM, Émilie a évolué dans un univers différent, avec d'autres préoccupations, explique Éric. C'était essentiel pour elle. Et la direction de l'Université lui a accordé un soutien entier.»

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Les chemins d'Émilie Heymans et Jennifer Abel se sépareront bientôt. Émilie est âgée de 30 ans et la retraite sportive se profile à l'horizon. Jennifer n'a que 20 ans et demeurera investie dans son sport.

«Mais cette médaille tisse des liens entre elles pour toujours, dit Éric Heymans. J'ai rarement vu Émilie aussi contente.»

À Londres, il n'y a pas que des athlètes heureuses.

Il y a aussi des parents.

Photo: PC