Maple Leaf Gardens, le 7 novembre 1992. C'est l'entraînement du matin. Entre deux exercices, Pat Burns croise Sylvain Lefebvre au centre de la patinoire. De sa voix bourrue, il lui lance: «Tu joues ce soir.»

Lefebvre se retourne vers son entraîneur, mais celui-ci a déjà filé. Burns n'est pas un homme de grands discours, et le jeune défenseur le sait bien. N'empêche que la nouvelle lui fait du bien.

Trois mois plus tôt, les Maple Leafs ont acquis ses services du Canadien. Burns fut à l'origine de cette transaction. Durant son séjour à Montréal, il avait découvert l'opiniâtreté de ce grand jeune homme.

Gentil et réservé à l'extérieur de la patinoire, Lefebvre était animé par un goût profond de réussir. Cette détermination impressionnait tous ceux qui le côtoyaient. Et Burns était du nombre.

Même s'il connaissait Lefebvre depuis longtemps, le nouvel entraîneur des Maple Leafs n'allait pas se montrer plus clément envers lui. Au contraire! Aussi l'avait-il relégué à la tribune de presse lors des deux matchs précédents.

Prenant son courage à deux mains, Lefebvre avait hésité un moment, puis poussé la porte entrouverte du bureau de Burns, craignant un peu ses fameux rugissements.

- Pat, si tu es venu me chercher à Montréal, pourquoi tu ne me fais pas jouer?

- Tu me connais. Si tu joues bien, je t'achalerai pas. Mais si c'est pas le cas... Alors, va travailler!

Lefebvre avait réfléchi aux paroles de Burns. «Avec le Canadien, j'avais fini par comprendre qu'il était dur avec moi parce qu'il voulait que je réussisse, raconte-t-il, 20 ans plus tard. Dès ce moment, je ne l'ai plus perçu de la même façon.»

Lefebvre comprenait désormais que les mots sévères de Burns étaient un rappel: sans un travail acharné, sa carrière dans la LNH serait courte.

Ce soir-là, les puissants Penguins de Pittsburgh étaient les visiteurs au Maple Leaf Gardens. Le match s'annonçait difficile. Burns et son adjoint Mike Kitchen le savaient très bien.

Quelques secondes avant la mise au jeu, les hymnes nationaux terminés, Burns s'est approché de Lefebvre, assis au banc des joueurs: «Est-ce que Kitch t'a parlé? Aujourd'hui, c'est toi qui surveilles le grand. Chaque fois qu'il sera sur la patinoire, je veux que tu y sois aussi.»

Le «grand», c'était évidemment Mario Lemieux, le meilleur joueur de l'heure, qui connaissait un formidable début de saison.

«Ce soir-là, j'ai disputé un de mes meilleurs matchs en carrière, raconte Lefebvre. On a gagné, notre gardien Félix Potvin a reçu la première étoile, et moi la deuxième. J'ai ensuite joué 250 matchs de suite dans la Ligue nationale...»

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Sylvain Lefebvre a aujourd'hui 44 ans. Mercredi, il a été nommé entraîneur-chef des Bulldogs de Hamilton, filiale du Canadien dans la Ligue américaine de hockey.

Dimanche dernier, Greg Sherman, DG de l'Avalanche du Colorado, lui a donné un coup de fil: «J'ai reçu un appel de Marc Bergevin. Je lui ai donné l'autorisation de t'offrir un nouveau travail...»

Ce n'est pas sans nostalgie que Lefebvre quitte l'organisation de l'Avalanche. Membre de la dernière équipe des Nordiques en 1995, il a déménagé au Colorado, où il a remporté la Coupe Stanley dès la saison suivante. En 1999, il s'est joint aux Rangers de New York avant, cinq ans plus tard, de compléter sa carrière à Berne, en Suisse.

«Quand je suis revenu au Québec, j'ai eu l'occasion de donner un coup de main à l'équipe du Collège Champlain, à Lennoxville. J'ai eu la piqûre du coaching sur-le-champ. Peut-être parce que j'ai quatre enfants et que j'aime aider les jeunes. Comme ma femme, qu'on surnomme en riant «mère Teresa», parce qu'elle a toujours accueilli tous leurs amis à la maison!»

Au-delà de cette vie collective qui lui a toujours plu, Lefebvre a l'âme d'un pédagogue. Il aime transmettre ses connaissances et cherche lui-même à s'améliorer.

Cette attitude n'est pas nouvelle. Dès le début de sa carrière avec le Canadien, il a ressenti le besoin de se nourrir intellectuellement. Il ne voulait pas que sa vie se résume à l'entraînement physique.

Lefebvre a sans doute été le premier joueur du Canadien à voyager avec un ordinateur portable au début des années 1990. «J'aime obtenir de l'information, j'aime apprendre», dit-il.

Cette valeur est partagée par tous les membres de sa famille. Marie-Claude, la femme de Sylvain, a une formation d'ingénieure en biochimie. Leurs quatre enfants poursuivent des études: Jade-Isis, 23 ans, amorce une maîtrise à McGill; Djan-Alexandre, 21 ans, étudie à l'École de gestion John-Molson, de l'Université Concordia; Jordan, 20 ans, est à Bishop's; et Alexanne, 16 ans, termine ses études secondaires au Colorado.

«Nous avons tellement de bons enfants, dit-il, ému. C'est drôle, on les élève et quand ils font de belles choses, on leur dit: «Je suis fier de toi». Cette semaine, ce sont eux qui m'ont dit: «Papa, on est fier de toi»...»

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Dans le junior AAA, la Ligue américaine ou la Ligue nationale, Sylvain Lefebvre a toujours été entraîneur adjoint. C'est à Hamilton qu'il prendra pour la première fois les commandes d'une équipe.

L'ancien défenseur du Canadien sera un entraîneur-chef résolument moderne. La communication avec les joueurs sera au coeur de son approche. «Ma récompense comme entraîneur, c'est le succès de mes joueurs», dit-il.

Sylvain Lefebvre en est convaincu: même si ses méthodes étaient plus brusques, Pat Burns pensait de la même façon.

Pour joindre notre chroniqueur: pcantin@lapresse.ca