Le Grand Prix du Canada a longtemps été le premier de nos festivals de l'été, une occasion d'accueillir le monde et de célébrer Montréal. Nous étions fiers de faire partie du village global du sport international.

Cette année, la fête n'est pas au rendez-vous. La course est l'objet de critiques. Ses promoteurs, qui n'ont pas vu venir la tempête, ne contrôlent plus l'image de leur événement.

L'impact d'une seule phrase malheureuse, lancée par un représentant étudiant à la fin des négociations avec le gouvernement la semaine dernière, a été immense: «On va vous l'organiser, votre Grand Prix.»

Du coup, dans le contexte très polarisé qui sévit au Québec, le Grand Prix s'est transformé, pour certains, en levier de contestation envers le gouvernement Charest, plus prompt à s'incliner devant les exigences de Bernie Ecclestone qu'à préserver la paix sociale.

Cette attitude inhabituelle envers le Grand Prix, jadis presque universellement applaudi, a pris de court les passionnés de sport automobile. Jacques Villeneuve en a fourni un exemple, jeudi.

Sa leçon de morale, dénuée de toute nuance et distillée à l'occasion d'une soirée huppée, a sûrement fait plaisir à beaucoup de gens, excédés avec raison par les manifestations musclées et le climat au Québec.

Mais les propos de Villeneuve ont aussi renforcé ce sentiment que l'univers de la Formule 1 est de plus en plus éloigné des gens ordinaires. Si Villeneuve avait seulement dénoncé le comportement des opposants à cette fête, on aurait compris. Mais il est allé plus loin.

L'ancien champion leur a conseillé avec mépris de retourner en classe. Ironique, lorsqu'on se rappelle ses propos à La Presse, l'an dernier, selon lesquels il n'enverrait jamais ses enfants dans le système québécois. «Je trouve qu'on nivelle par le bas et qu'on n'est pas assez exigeant, disait-il. Je préfère le baccalauréat français.»

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Comment expliquer ce nouveau ressentiment envers la Formule 1, qu'un segment de la population considère désormais comme un rendez-vous élitiste, sexiste et polluant?

Voici une explication: au cours des dernières années, ce sport a évolué dans une direction opposée à ce qu'on appelle la «conscience citoyenne». Plus que jamais, la recherche du profit semble être la seule préoccupation de la Formule 1.

Il y a trois ans, les pénibles négociations avec Bernie Ecclestone en vue de maintenir le Grand Prix du Canada ont laissé un goût amer. Les tribunes remplies année après année dans l'île Notre-Dame, l'accueil chaleureux des Montréalais et la qualité de l'organisation, tout cela ne comptait plus au moment du renouvellement du contrat. Et la course n'a pas eu lieu en 2009.

Ecclestone voulait plus d'argent. Encore plus d'argent. Toujours plus d'argent. D'autres villes et d'autres pays ont goûté à sa médecine. Des Grands Prix historiques ont été sacrifiés parce que les exigences d'Ecclestone constituaient un puits sans fond.

L'attribution de nouveaux Grands Prix en Asie et au Moyen-Orient, une idée intéressante en soi, n'a rien eu à voir avec une expansion finement planifiée, destinée à rehausser le caractère international du sport. Elle a plutôt été basée sur une quête effrénée de nouveaux revenus, afin de faciliter l'entrée en Bourse de la Formule 1.

Cette année, la présentation du Grand Prix du Bahreïn a constitué une autre tache noire. Dans ce pays, des réformes démocratiques demandées par les citoyens ont entraîné la répression.

Des cas de torture d'opposants politiques ont été officiellement répertoriés. Ni Ecclestone ni les pilotes n'ont condamné ces excès. Ils se sont plutôt réfugiés derrière la traditionnelle excuse: il ne faut pas mélanger politique et sport.

Au même moment, partout dans le monde, la crise financière a laissé des traces profondes. Les gens se méfient davantage des discours économiques traditionnels.

Des mouvements dénonçant les inégalités dans la répartition de la richesse ont émergé. Le mouvement «Occupons Wall Street» a fait des petits partout dans le monde, dont à Montréal. Un goût de faire les choses différemment s'est développé.

Le sport ne vit pas en marge de la société. Il en est une composante. La Formule 1 semble pourtant vivre sur une autre planète, complètement déconnectée des préoccupations populaires. Encore plus que les autres sports professionnels.

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Le Grand Prix, malgré les énormes défauts de la Formule 1, est important pour Montréal. Mais il a besoin de quelqu'un de crédible afin de rappeler ses atouts. Le promoteur actuel, François Dumontier, n'en a pas saisi l'occasion cette semaine. Ce vide a laissé beaucoup de place aux opposants.

Le Grand Prix du Canada demeure un actif extraordinaire pour le Québec. Les retombées économiques sont estimées à 90 millions de dollars. La somme est sans doute exagérée, comme ces chiffres ronflants le sont souvent. En revanche, son impact est largement supérieur aux 15 millions versés annuellement par les pouvoirs publics pour satisfaire Ecclestone.

La présentation de la course augmente aussi le rayonnement international de Montréal. Sa notoriété aux quatre coins du globe ne fait aucun doute.

Un exemple parmi d'autres: en France, la déception de plusieurs blogueurs a été vive lorsque le réseau TF1 a annoncé que la course de demain ne serait pas diffusée en direct en raison des élections législatives dans ce pays. Seuls les abonnés à Eurosport pourront en être témoins. Or, écrivait-on, la manche montréalaise est souvent une des plus excitantes de la saison.

L'attachement des Québécois à la Formule 1 est aussi véritable. Entre les exploits de Villeneuve père et ceux de Villeneuve fils, le Grand Prix est toujours demeuré populaire. Il fait partie de notre patrimoine sportif.

C'est encore le cas aujourd'hui, plusieurs années après la fin de la carrière de Jacques en Formule 1. La participation d'un pilote du pays augmente l'intérêt des fans, mais n'est pas nécessaire au succès de la course.

Il n'en reste pas moins qu'une fois la visite repartie, les promoteurs du Grand Prix devront réfléchir à son positionnement dans notre société.