En fin d'après-midi dimanche, le cellulaire de Michel Therrien a sonné. À l'écran, le nom de Marc Bergevin est apparu. C'était l'heure du verdict et Therrien le savait très bien.

«Salut Michel, où es-tu? Qu'est-ce que tu fais? J'aimerais bien te voir...»

Therrien a tout de suite compris qu'il touchait à son rêve. Si le DG du Canadien avait eu une mauvaise nouvelle à lui annoncer, il l'aurait fait au téléphone, pas en personne. «Veux-tu venir à la maison, Marc?»

Bergevin a accepté l'invitation. Cinq minutes après son arrivée, bien assis sur le patio, il a confirmé la bonne nouvelle à Therrien. Les deux hommes se sont serré la main, ont débouché une bière et préparé un barbecue. Puis, le nouvel entraîneur a fait sa première demande à son patron. «Est-ce que ça te dérangerait qu'on le dise à ma mère?»

Le temps étant frais, Therrien et Bergevin sont allés la rejoindre à l'intérieur de la maison. «Ton père serait fier de toi», a simplement dit Rachel, 80 ans, après avoir félicité son fils unique. Gerry Therrien, qui a contribué à l'essor du hockey mineur dans le quartier Saint-Léonard, est mort il y a trois ans.

Au printemps 2011, à son retour à Montréal après avoir vécu plusieurs années à Pittsburgh, Michel Therrien a invité sa mère à emménager dans la maison qu'il habite avec ses enfants, Élisabeth et Charles, âgés de 19 et 18 ans. «Les valeurs familiales sont une priorité pour moi», dit-il.

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Michel Therrien a connu du succès comme entraîneur. Il a remporté la Coupe Memorial et participé à une finale de la Coupe Stanley. Mais sa plus grande fierté est d'avoir bien élevé ses deux enfants.

En 2004, Therrien et sa conjointe se sont séparés. Il a obtenu la garde d'Élisabeth et Charles. Il dirigeait alors les Penguins de Wilkes-Barre, dans la Ligue américaine de hockey.

«J'allais aux cours de danse avec Élisabeth et à l'aréna avec Charles. Une nanny s'occupait d'eux durant mes absences. Lorsque l'équipe était en ville, je les conduisais à l'école et m'assurais d'être à la maison à leur retour à 15h30. J'analysais les vidéos des matchs dans mon salon plutôt qu'à l'aréna.»

Promu entraîneur-chef des Penguins en décembre 2005, Therrien a déménagé avec ses deux enfants à Pittsburgh. «On avait quelqu'un qui venait préparer des repas pour toute la semaine. Des portions individuelles qu'on réchauffait au four à micro-ondes. Je ne suis pas un chef, moi!

«Tu sais, j'ai eu la chance d'être entouré par du bon monde. Tout seul, je n'aurais pas été capable. Et je suis reconnaissant envers tous ces gens qui m'ont aidé. Toutes ces expériences ont fait de moi une meilleure personne.

«C'est drôle, mais après la tourmente de Montréal, Wilkes-Barre a été un paradis. Avec le Canadien, c'était la première fois que je me faisais congédier. Et dans mon esprit, une équipe de hockey, c'est comme une famille. Alors c'est pas facile de se faire tasser...»

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Lundi, au lendemain de son repas avec Bergevin, Therrien a signé son contrat. Ce fut une journée pleine d'émotion pour celui qui n'aurait jamais pensé, il y a un an à peine, reprendre du service derrière le banc du Canadien.

«J'étais exténué et je me suis endormi avant la fin du match de hockey à la télé, dit-il. Quand je me suis réveillé à 5 heures du matin, la nouvelle de mon embauche circulait déjà et j'avais 65 messages textes sur mon téléphone! Dont un de ma fille, qui dormait chez des amis: "As-tu oublié de me dire quelque chose, Dad?"»

Therrien lui a vite donné un coup de fil. Puis, il a réveillé son fils pour lui apprendre la nouvelle. Il s'est ensuite rendu au Centre Bell, où il a rencontré Geoff Molson pour la première fois du processus.

Parmi tous les gens lui ayant offert des félicitations, Therrien a été particulièrement heureux de l'appel de Sidney Crosby.

«J'ai développé une belle relation avec Sidney. Lorsque je suis devenu son coach à Pittsburgh, je lui ai dit qu'on travaillerait ensemble afin qu'il devienne le meilleur joueur de la LNH. Son père m'a aussi envoyé un message.»

Si la nomination de Marc Bergevin au poste de DG a fait l'unanimité le mois dernier, celle de Therrien ne soulève pas la même adhésion. Son premier séjour derrière le banc de l'équipe a laissé, au mieux, des souvenirs mixtes.

Therrien est convaincu d'être mieux armé pour relever le défi. «Claude Julien a gagné la Coupe Stanley après son passage avec le Canadien, rappelle-t-il. Alain Vigneault et moi, on a atteint la finale. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un hasard. Notre séjour ici a fait de nous de meilleurs coachs et de meilleures personnes. On a vécu des choses vraiment spéciales avec le Canadien. Moi, je reviens ici avec une tonne de confiance.»

Bizarrement, même s'il en est à son troisième tour de piste comme entraîneur dans la LNH, c'est la première fois que Therrien est le véritable premier choix d'un DG. Lors des deux occasions précédentes, il a été appelé en relève durant la saison après le congédiement de son prédécesseur.

«Jamais je ne laisserai tomber Marc Bergevin, dit-il. Il croit en moi et je crois en lui. Je veux qu'il soit fier de sa nomination. Je veux prouver qu'il a fait le bon choix.»

Therrien entend accomplir son travail avec toute l'énergie dont il est capable. Mais ce boulot demeurera toujours la deuxième de ses priorités. «Moi, je suis d'abord un père de famille.»