Le choix du prochain directeur général constitue la plus importante décision de Geoff Molson depuis son arrivée à la tête du Canadien. Le candidat retenu aura une double mission: redonner du tonus à l'équipe et rebâtir la confiance des amateurs. Lourde tâche.

Dans ce contexte, le rôle de Serge Savard est essentiel. Il est le garant des valeurs du Canadien, lui dont la vie est liée à l'organisation depuis la fin des années 60. Voilà pourquoi Molson a fait preuve de flair en lui demandant de l'appuyer dans le choix du DG.

Pourtant, si Savard demeure associé au Canadien une fois cette mission terminée, je serais étonné qu'il occupe des responsabilités de premier plan. Je le vois plutôt dans un rôle de mentor, avec une place au sein du conseil d'administration de l'équipe.

La possibilité que Savard soit nommé vice-président hockey a été évoquée au cours des derniers jours. C'est une hypothèse intrigante. Mais posons-nous la question: quel jeune gestionnaire ambitieux et bourré de talent acceptera le poste de DG du Canadien s'il n'obtient pas les pleins pouvoirs?

Pourquoi, par exemple, un Julien BriseBois voudrait-il de ce boulot s'il doit se rapporter à un vice-président principal du secteur hockey? Le Canadien n'attirera pas un candidat de premier plan si pareil organigramme est envisagé.

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Comme dans toute entreprise, la ligne d'autorité d'une équipe de hockey doit être claire. Il faut un patron, pas deux. Sinon, on ouvre la porte à du grenouillage organisationnel, où les employés passent plus de temps à bâtir des alliances circonstancielles qu'à travailler à l'atteinte des objectifs communs.

Sur le plan externe, une structure semblable n'est pas plus porteuse. Imaginez une situation où un agent de joueurs, insatisfait des négociations avec le jeune DG du Canadien, décide d'appeler le VP pour qu'il fasse pression sur son employé. Cela ne peut pas fonctionner.

On peut penser à bon nombre de cas semblables, qui mettraient en cause l'entraîneur-chef et le recruteur en chef, trop heureux de jouer sur les deux tableaux pour faire mousser leur propre agenda.

S'il y a une chose claire dans le style de gestion de Geoff Molson, c'est sa capacité à déléguer. Il ne croit pas en la micro-gestion. Il donne des objectifs à ses lieutenants et leur laisse ensuite toute la latitude nécessaire.

La relation de Molson avec Pierre Gauthier en fournit une preuve éloquente. Jusqu'au bout, il a laissé son DG maître des opérations. Même à la date limite des transactions, il ne s'est pas immiscé dans le processus décisionnel.

Au point où, à la mi-mars, au moment où il était clair que la saison du Canadien était une catastrophe, Gauthier demeurait absolument convaincu qu'il serait reconduit dans ses fonctions.

Ce n'est pas ce qui s'est produit. Le Canadien éliminé, Molson a terminé son analyse de la situation et jugé que l'ère Gauthier-Gainey avait assez duré. Les deux hommes ont été invités à quitter leur poste.

Geoff Molson aime donner les coudées franches à ses collaborateurs. Il procédera de la même façon avec le prochain DG et n'ira pas lui flanquer un superviseur, fusse-t-il aussi renommé que Serge Savard. Sinon, il commettra une erreur.

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Le Canadien devrait choisir un homme jeune, doté d'un regard frais et très familier avec la LNH d'aujourd'hui.

Bien sûr, si aucun des candidats pressentis n'est intéressé par le défi, il est toujours possible que Savard obtienne, au bout du compte, le poste. Mais cela m'étonnerait beaucoup.

Cela dit, Savard serait parfaitement capable d'accomplir le boulot. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'analyse critique du travail de Savard comme DG, publiée par mon collègue Mathias Brunet dans notre numéro d'hier. Comme toujours, les arguments de Mathias étaient solidement étayés.

N'en reste pas moins que Savard a mené le Canadien à deux conquêtes de la Coupe Stanley durant son règne. Seuls les Oilers d'Edmonton ont fait mieux durant cette période! Pas banal, comme fiche. Dans mon esprit, Serge Savard a été un grand DG du Canadien.

Au-delà du rendement de son équipe, il y a eu son style. Proche des gens, toujours prêt à répondre aux questions, ne se sentant jamais menacé et conscient du rôle social du Canadien, Savard a incarné et porté les véritables valeurs de cette organisation.

Voilà pourquoi les Québécois l'ont toujours respecté. En 2009, lorsque George Gillett a mis l'équipe en vente, c'est Savard qui a obtenu le plus d'appuis dans la population pour devenir le prochain propriétaire de l'équipe.

Dans un sondage qu'avait publié La Presse, il a éclipsé tous ses concurrents, parmi lesquels des noms aussi connus que ceux de Guy Laliberté et René Angélil. Intuitivement, les gens savaient que Savard était le garant de la tradition du Canadien.

Dans le contexte actuel, où le Canadien s'est éloigné de ses fans, où il a abandonné durant de trop longs mois ses responsabilités sociales, le retour de Savard au bercail constitue un signe clair: Geoff Molson a compris que quelque chose ne tournait pas rond dans son organisation et a décidé de redresser la barque.

En acceptant de conseiller Geoff Molson dans le choix du futur DG, Savard a montré à quel point il avait à coeur l'organisation. Si c'est lui qui obtient finalement le poste, ce n'est pas moi qui critiquerai.

En revanche, si un autre homme est choisi, Savard devra agir uniquement comme mentor. Sur le plan hockey, le Canadien ne doit avoir qu'un seul patron.