Ce fut le mégaprocès de la justice sportive.

D'un côté, Alberto Contador, triple vainqueur du Tour de France, accompagné de huit avocats et de son frère Fran, son gérant.

De l'autre, l'Union cycliste internationale (UCI) et l'Agence mondiale antidopage (AMA), représentés par six conseillers juridiques et un expert scientifique.

Durant l'audition, tenue à Lausanne en novembre dernier, les deux parties ont fait entendre 15 témoins: détective, spécialiste du polygraphe, professeur de pharmacologie, chimiste en alimentation, porte-parole de l'Association des fermiers espagnols et d'autres encore...

Cette bataille rangée, visant à déterminer la responsabilité de Contador dans un test de dopage positif au Tour de France de 2010, s'est conclue lundi par un jugement à la hauteur du débat. En 98 pages denses, le Tribunal arbitral du sport (TAS) effectue une analyse pointue des faits. On croirait une décision de la Cour suprême.

Le verdict, qui condamne Contador et lui retire sa victoire lors de ce Tour, permet de cerner l'état du droit en matière de dopage.

Conclusion: après un test positif, le fardeau de la preuve repose entièrement sur l'athlète. Comme Contador l'a constaté, le bénéfice du doute lui est retiré et l'accusé doit se montrer prudent dans ses déclarations.

* * *

En première instance, devant les autorités espagnoles, Contador a soutenu que son entourage sportif avait toujours «catégoriquement» rejeté le dopage.

L'UCI et l'AMA ont saisi cette déclaration pour renforcer leur dossier. Ils ont rappelé que Contador avait déjà couru pour des équipes dirigées par Manolo Saiz, mis en accusation pour sa participation présumée à l'affaire Puerto, un scandale de dopage sanguin en Espagne.

Les deux organismes ont ajouté que des coéquipiers de Contador ont été reconnus coupables de dopage. Que son ancienne équipe, Astana, fait toujours l'objet d'une enquête en France. Et que le patron de son équipe actuelle, Bjarne Riis, a admis s'être dopé durant sa carrière.

Bref, en vantant l'intégrité de son entourage, Contador a ouvert une boîte de Pandore. Ce n'était pas la meilleure stratégie pour soutenir son innocence. Agressives, l'UCI et l'AMA ont établi un lien entre l'entourage de Contador et son test positif, suggérant ainsi sur une culpabilité par association.

Le Tribunal a rejeté ces arguments, rappelant qu'en l'absence d'une preuve contraire, un «mauvais entourage» ne constitue pas une indication de comportement illicite, pas plus qu'un «bon entourage» ne démontre des pratiques saines.

Si les procédures ont été si longues, c'est aussi parce que l'UCI et l'AMA ont ensuite voulu démontrer, sans succès, que le dopage sanguin était potentiellement à la source du test positif de Contador. Celui-ci a demandé des délais pour préparer sa défense à ce sujet, une affaire complexe mettant en cause plusieurs spécialistes.

Au bout du compte, Contador a été sanctionné parce que les commissaires n'ont pas cru sa défense, basée sur la consommation de viande contaminée au clenbutérol. Le jugement consacre des pages et des pages à cette question. On croirait un traité sur l'inspection de la viande en Europe!

Alors comment Contador s'est-il dopé? Selon le Tribunal, en prenant des suppléments nutritifs contenant du clenbutérol. Mais les commissaires n'en sont pas absolument sûrs.

«Nous ne sommes pas convaincus hors de tout doute raisonnable que ce scénario s'est vraiment produit», écrivent-ils, rappelant leur devoir de trancher selon la balance des probabilités.

La contamination par la viande et le dopage sanguin étant à leurs yeux presque impossibles, seule l'hypothèse des suppléments nutritifs demeurait.

Pour tout vous dire, ce n'est pas le passage le plus convaincant du jugement. Et c'est sans doute à cela que Contador a fait allusion, hier, en déclarant: «Quiconque lira ce verdict verra clairement que je ne me suis pas dopé.»

C'est une question de perspective, évidemment. Car au bout du compte, Contador n'a pas été capable d'expliquer de manière cohérente ce contrôle positif. La contamination alimentaire, une excuse classique dans le cyclisme, ne tient pas la route. Là-dessus, le jugement est très persuasif.

* * *

Contador, qui poursuivra sa carrière après sa suspension, a 30 jours pour porter le verdict en appel devant la Cour fédérale suisse. Il serait étonnant qu'il le fasse, même si l'exercice ne manquerait pas d'intérêt. Ses chances de victoire sont minces et, sauf en Espagne, il a déjà perdu la bataille de l'opinion publique.

Qui, aujourd'hui, croit encore un cycliste qui clame son innocence après un test positif? Ils ont été si nombreux à brandir la carte de la pureté avant d'admettre la vérité.

La sentence aura-t-elle un effet dissuasif? Car si la peine est si sévère, c'est aussi dans l'espoir qu'elle fasse réfléchir d'autres coureurs.

À première vue, compte tenu des nombreux cas de dopage, on est tenté de répondre non à cette question. Mais en constatant le prix payé par Contador, un doute s'installe.

L'Espagnol voit sa réputation lézardée. Son compte en banque sera soulagé de plusieurs millions de dollars, en raison des frais juridiques et d'une amende que le Tribunal pourrait bientôt lui imposer. Au cours des derniers mois, il a consacré un nombre incalculable d'heures à la préparation de sa défense, un exercice long et pénible.

«Ce fut un authentique calvaire», a-t-il dit, hier.

Cette déclaration n'a sûrement pas déplu à l'Agence mondiale antidopage.

Photo: AFP

Suspendu et dépossédé du titre de champion du Tour de France 2010, Alberto Contador n'a pas été capable d'expliquer de manière cohérente le contrôle positif dont il a fait l'objet.