Il y a 20 ans presque jour pour jour, je suis entré dans le bureau défraîchi du Prof Caron, au St. Louis Arena. Le budget des Blues était serré et le mobilier du Prof en témoignait. «Entrez, entrez, enlevez vos manteaux, assoyez-vous, il n'y a pas beaucoup de chaises, mais c'est pas grave...»

De son regard amical, Ronald Caron accueillait les journalistes de Montréal venus couvrir le match Canadiens-Blues. Comme la poignée de collègues m'accompagnant, j'attendais ce moment avec enthousiasme.

La réputation de conteur du Prof était légendaire. Nous savions qu'en plus d'obtenir une bonne histoire pour nos journaux, on éclaterait de rire à plusieurs reprises. Véritable moulin à paroles, le Prof était le roi de l'anecdote. Avec sa manière unique de mettre ses histoires en scène, de préparer son auditoire à l'inévitable punch, on aurait dit un comédien de grand talent.

Ce jour-là, une controverse secouait St. Louis: Adam Oates voulait renégocier son contrat et menaçait de faire la grève.

Le Prof, qui ne connaissait rien de la rectitude politique, était prêt à nous livrer le fond de sa pensée sur cet épineux sujet. Mais pas avant d'évoquer le dernier échange des Expos, qui avaient cédé Andres Galarraga aux Cards. Car notre homme adorait le baseball.

«Vous verrez, le Gros Chat va en popper une couple qui vont pogner dans le vent pour des circuits!», lança-t-il, dans son langage si imagé, avant de revenir au hockey.

- Et que ferez-vous, Prof, si Oates déclenche la grève?

La réponse est tombée, cassante: «Ces gars-là sont tous échangeables.»

Le Prof avait l'esprit d'humour. Mais il n'hésitait pas à rappeler qui était le patron.

* * *

Ronald Caron n'a eu ni femme ni enfants. Il était uni au hockey. Au début des années 60, jeune professeur au collège Saint-Laurent où il dirigeait aussi l'équipe de hockey, il travaillait bénévolement pour le Forum. Lorsque la nouvelle fournée d'espoirs juniors débarquait à Montréal, c'est lui qui leur trouvait une école.

Serge Savard avait 15 ans lorsque, fraîchement arrivé d'Abitibi, il fit la connaissance du Prof, qui deviendrait un de ses plus proches amis. Jusqu'à la fin de sa vie, le Prof a compté sur la loyauté de Savard.

Peu avant Noël, à l'occasion du 82e anniversaire du Prof, les deux hommes ont mangé ensemble. Ils étaient accompagnés de Fred Relihan, un ancien employé du Canadien qui, avec dévouement, a pris soin de son vieil ami jusqu'au bout. Affaibli, le Prof était réfugié dans son monde. Mais il avait aussi des moments de lucidité.

«Le Prof était un homme d'une grande générosité, dit Savard. Un jour, il a même hypothéqué sa maison à St. Louis pour aider des membres de sa famille...»

En 1968, Sam Pollock a confié au Prof un poste à temps plein au sein du Canadien. Débrouillard et convaincant, il a gravi les échelons. Mais en 1983, il a été congédié en même temps que le DG Irving Grundman. Quelques semaines plus tard, il s'est retrouvé aux commandes des Blues, dont le déménagement à Saskatoon venait d'être refusé par la LNH.

Cette année-là, leur avenir en péril, les Blues n'ont pas participé au repêchage des joueurs amateurs. Dans ces conditions difficiles, le Prof a montré tout son talent en relançant l'organisation.

Au printemps 1986, les Blues sont venus à une victoire de participer à la finale de la Coupe Stanley contre le Canadien. Un duel entre les équipes de Savard et Caron aurait été passionnant!

L'amitié des deux hommes se renforça durant les années 80. Savard aimait bien se rendre à St. Louis pour assister à un match ou deux des Blues. Il demeurait à la résidence du Prof et discutait des heures avec lui.

Pas étonnant que les transactions entre les Blues et le Canadien aient été nombreuses. En 1984, une permutation de choix au repêchage permit même au Canadien de ravir Stéphane Richer sous le nez des Nordiques en deuxième ronde!

«On ne se faisait pas de cadeaux, précise Savard. Mais dans le hockey, il existe des affinités naturelles. Le Prof a aussi réalisé des échanges avec Cliff Fletcher, des Flames de Calgary. Les deux se connaissaient depuis leurs débuts avec le Canadien.»

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Le Prof Caron vivait intensément le hockey. Ses colères sur les tribunes de presse étaient spectaculaires. Je me souviens l'avoir vu rouge de dépit après un match au Forum, alors qu'il estimait que l'arbitre avait refusé sans raison un but à son équipe.

Le sport constituait toute sa vie. Il aimait le golf et décrivait les difficultés des parcours avec l'exagération qui composait une partie de son charme. Un jour, montrant le plafond du Forum, il décrivit les fosses de sable d'un terrain particulièrement exigeant: «Elles sont hautes comme ici dedans!»

Le Prof s'est éteint la veille d'un rare affrontement entre les Blues et le Canadien, les deux équipes qui ont défini sa vie. Avant le match, un moment de silence a été observé à sa mémoire.

Le hockey perd un homme unique. «C'est une partie de l'histoire qui s'en va avec lui», dit Serge Savard.

Vous nous manquerez, Prof.

Photo: archives La Presse

Ronald Caron à la table du Canadien avec le directeur général Irving Grundman, lors du repêchage de la LNH en 1981.