Pierre Gauthier a réussi un tour de force. D'une seule décision, il a créé une inimaginable coalition au Québec.

Des ministres du gouvernement Charest aux groupes souverainistes, du député libéral Denis Coderre à Mario Beaulieu, de la Société Saint-Jean-Baptiste, de la page éditoriale de La Presse à celle du Devoir, il a rassemblé des gens de tous les horizons politiques, reconnus pour leurs désaccords fréquents, autour d'une seule idée forte: il est inadmissible que le Canadien de Montréal soit dirigé par un entraîneur unilingue anglophone.

Cette vague de fond entraîne un effet immédiat. Pour Pierre Gauthier, le compte à rebours est enclenché. Il lui sera très difficile de demeurer encore longtemps directeur général du Canadien.

Je ne l'écris pas avec plaisir, puisque j'apprécie l'homme. Mais en nommant Randy Cunneyworth entraîneur du Canadien, Gauthier a mis toute l'organisation dans l'embarras, en plus de miner la crédibilité de son patron, Geoff Molson.

En affaires, une erreur semblable pardonne rarement. Le hockey a beaucoup changé entre l'époque de Frank Selke, dans les années 1950, et celle de Pierre Gauthier. Mais une constante demeure. Le directeur général doit veiller aux intérêts du propriétaire de l'équipe. Il n'a pas le droit d'entacher son image, même lorsque ce n'est pas son intention.

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Les événements des derniers jours sont révélateurs d'une triste réalité. La direction du Canadien est coupée de son milieu. Elle n'a jamais pensé que l'unilinguisme de Cunneyworth entraînerait une telle vague de réprobation.

Je suis convaincu que dans la tranquillité de leurs bureaux, Geoff Molson et Pierre Gauthier saisissent toujours mal les raisons de cette explosion.

Samedi dernier, irrité par les questions à ce sujet en conférence de presse, Gauthier a eu une réponse arrogante, qui fait désormais partie de l'histoire du Canadien: «Une langue, ça s'apprend», a-t-il sèchement lancé. Il croyait ainsi clore le débat, il l'a plutôt avivé.

Que Gauthier n'ait pas prévu la controverse démontre un renversant manque d'antennes dans son milieu.

Est-il au courant du ressac causé par l'affaire de la Caisse de dépôt? A-t-il suivi le débat cet automne autour de la place du français dans nos grandes institutions? Sait-il que la question linguistique demeure toujours chaude à Montréal et au Québec? Mesure-t-il la place du Canadien dans notre vie collective?

Si Gauthier avait consulté discrètement quelques personnes d'expérience avant d'arrêter son choix sur Cunneyworth, s'il avait demandé l'opinion de gens qui aiment le Canadien comme Pierre Boivin ou Serge Savard, ceux-ci l'auraient sûrement mis en garde contre cette décision à haut risque.

Résultat, 48 heures après les événements, Geoff Molson a dû émettre un communiqué dans l'espoir de calmer le jeu.

Ce texte constitue un mélange d'explications faibles (Cunneyworth était «prêt» à prendre la relève); de vagues promesses (s'exprimer en français sera un critère «très important» dans le choix d'un entraîneur permanent); et d'un appel à l'indulgence (merci à nos partisans qui font preuve de «compréhension» dans les circonstances).

De compréhension? Un sondage Léger Marketing, réalisé pour le compte de QMI, confirme plutôt la colère des Québécois: 69% des amateurs de hockey estiment «inacceptable» la nomination de Cunneyworth. Chez les francophones, ce taux grimpe à 83%.

De A à Z, l'opération menée par Gauthier constitue un désastre de relations publiques. Et l'aspect hockey ne s'annonce pas plus brillant.

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Quelle sera la suite des événements? Trois scénarios sont possibles.

Le premier est le miracle auquel s'accroche Pierre Gauthier. Le Canadien se ressaisit et connaît un succès d'estime en séries éliminatoires. La cote de Randy Cunneyworth grimpe dans l'opinion publique. Il promet de suivre un cours de français intensif l'été prochain et Geoff Molson reconduit les deux hommes dans leurs fonctions.

Vous y croyez? Moi non plus.

Le deuxième suppose une fin de saison sans panache du Canadien. Le printemps venu, Geoff Molson remercie Gauthier et Cunneyworth. C'est le scénario le plus probable, la fin prévisible du régime.

Le troisième est possible si la grogne ne se résorbe pas bientôt et que l'équipe s'enfonce davantage dans la médiocrité. Gauthier subit alors le sort qu'il a réservé à Jacques Martin. Geoff Molson confie l'intérim à Kevin Gilmore, qui fut DG adjoint des Kings de Los Angeles durant sept ans. Gilmore, originaire d'Arvida, est présentement chef des opérations du Canadien. Il peut expédier les affaires courantes jusqu'à l'arrivée d'un nouveau patron hockey au printemps.

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Geoff Molson a sûrement amorcé une réflexion en profondeur sur l'avenir de l'organisation. Au-delà du choix de ses principaux collaborateurs, il devra répondre à deux questions fondamentales.

Quelle relation souhaite-t-il créer entre l'équipe et ses partisans? Et quelle importance veut-il accorder à la communication? À l'heure actuelle, avec un Cunneyworth incapable de dire un mot en français et un Gauthier qui fuit les micros comme la peste, le Canadien érige des barrières autour de l'équipe.

Geoff Molson serait-il prêt à accepter un entraîneur aussi flamboyant que Patrick Roy?

Chose sûre, si Molson renouvelle sa confiance en Gauthier en exigeant un nouvel entraîneur en vue de la prochaine saison, je serais étonné que le célèbre numéro 33 débarque au Centre Bell.

Gauthier et lui ont des personnalités aux antipodes. J'ose à peine imaginer la colère de Roy si Gauthier voulait embaucher ou congédier ses adjoints à sa place, comme il l'a fait avec Jacques Martin.

Bizarre tout de même. Gauthier a toujours voulu diriger tous les leviers du secteur hockey de l'organisation. Et voilà qu'il a lui-même provoqué la situation lui ayant fait perdre le contrôle des événements.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Pierre Gauthier