L'achat de Maple Leafs Sports & Entertainment (MLSE) par l'improbable duo BCE-Rogers marque une révolution dans le sport professionnel au Canada. Cette gigantesque transaction de 1,32 milliard fait voler en éclats le modèle d'affaires traditionnel.

Ces deux entreprises concurrentes, dont l'ADN est programmé pour lutter l'une contre l'autre en téléphonie et en télédistribution, s'associent pour protéger leurs intérêts communs.

La crainte que MLSE démarre sa propre chaîne sportive pour diffuser les matchs des Maple Leafs et des Raptors a contribué à cette entente. Ce n'est pas un hasard si les deux géants des télécommunications sont revenus cogner à la porte de Teachers', l'actionnaire majoritaire de MLSE, peu après la divulgation de ce projet par le Toronto Star.

Nadir Mohamed, le président de Rogers, a été limpide en commentant la transaction. «Le contenu sportif est roi, a-t-il dit. Cet investissement sécurise notre accès à long terme à ce contenu recherché et prestigieux.»

BCE est propriétaire de TSN-RDS; Rogers détient Sportsnet. Ces réseaux, avec des profits respectifs de 75 et 50 millions en 2010, sont déjà très rentables. En achetant MLSE, les deux entreprises protègent leurs acquis. C'est l'aspect défensif de leur décision.

Désormais à la tête de MLSE, BCE et Rogers pourront exploiter à grande échelle les matchs des Maple Leafs, des Raptors et du Toronto FC sur des appareils sans fil. Ce plan est au coeur de leur stratégie de développement. C'est l'aspect offensif de leur décision.

Malgré le ralentissement économique, l'industrie du sport-spectacle demeure solide. Selon la firme PricewaterhouseCoopers, ses revenus mondiaux atteindront 145,3 milliards en 2015, une hausse annuelle de 3,7% par rapport à aujourd'hui.

Voilà pourquoi plusieurs entreprises investissent massivement dans ce secteur. Mais compte tenu des sommes engagées, il leur faut des alliés. L'achat de MLSE par BCE-Rogers s'inscrit dans une nouvelle tendance. L'époque où un propriétaire d'équipe voulait contrôler entièrement son environnement n'est plus le seul modèle.

Dans la NFL, l'exemple est venu de New York. Les Jets et les Giants, redoutables adversaires sur le terrain et en affaires, ont uni leurs forces pour construire un nouveau stade de 1,6 milliard. Pareil accord aurait jadis été impensable. Les deux organisations ont appris à travailler ensemble.

Ces partenariats se multiplieront, que ce soit pour la construction de stades ou la propriété des équipes. C'est pour cette raison que la LNH acceptera que BCE, malgré son investissement massif dans les Maple Leafs de Toronto, conserve sa participation de 18% dans le Canadien.

Lorsque des règles de gouvernance adéquates protègent l'intégrité de la compétition, ces situations sont acceptables. BCE est déjà partenaire de la LNH aux plans de la télévision, des commandites et des droits d'appellation de l'amphithéâtre du Canadien.

Ces entreprises solides sont estimées à la LNH, un circuit éprouvé par les ennuis financiers de plusieurs propriétaires au cours des dernières années.

Il serait étonnant que Gary Bettman mette des bâtons dans les roues d'entreprises qui investissent avec succès dans son circuit. En attribuant à son fonds de pension une partie de l'investissement, BCE utilise une solution créative pour respecter les règlements de la LNH.

Une autre nouvelle touchant la propriété des équipes a étonné cette semaine. Bill Daly, l'adjoint de Gary Bettman, a affirmé qu'aucun groupe n'était en position de tête pour devenir proprio d'une concession à Québec, ajoutant qu'il y avait «plusieurs groupes de propriétaires potentiels».

Cette déclaration intrigue, compte tenu de l'entente intervenue entre la Ville de Québec et Quebecor Media pour la gestion du nouvel amphithéâtre. Il semblait clair qu'un éventuel retour des Nordiques se réaliserait sous l'égide de cette entreprise.

Si Quebecor Media est en lutte avec d'autres groupes, à quoi aura servi d'adopter si urgemment le projet de loi 204 visant à protéger cet accord? Sur RDS.ca, Régis Labeaume a réagi ainsi aux propos de Daly: «Le gestionnaire de l'amphithéâtre de Québec, c'est Quebecor et c'est signé. En partant de là, ça me semble assez clair.»

Pas sûr que les choses soient aussi limpides. Bill Daly n'a pas l'habitude de parler pour ne rien dire. Alors, comment interpréter ses propos? Existe-t-il un autre groupe intéressé par l'aventure? Un propriétaire actuel envisage-t-il de transférer son équipe à Québec en demeurant à la tête de l'organisation? La LNH a-t-elle voulu envoyer un message à Pierre Karl Péladeau?

Chose sûre, la LNH n'a pas apprécié que Quebecor Media conteste, devant le CRTC, l'exclusivité de la diffusion des matchs du Canadien à RDS l'hiver dernier. On peut aussi se demander si M.Péladeau utilise bien ses cartes en jouant dur avec CBC-Radio-Canada, comme ce fut le cas devant un comité parlementaire cet automne. Après tout, CBC est le principal partenaire commercial de la LNH au Canada.

De la même façon, insinuer que le Globe and Mail est «inféodé» à CBC-Radio-Canada n'est peut-être pas une stratégie gagnante pour accéder à la LNH. Le Globe appartient à la famille Thomson, qui pèse plus de 20 milliards. David Thomson est le nouveau copropriétaire des Jets de Winnipeg et a l'oreille de Gary Bettman.

Québec demeure une destination de choix si les Coyotes de Phoenix amorcent la prochaine saison dans une nouvelle ville. Mais pour enlever le morceau, Quebecor Media aura besoin d'alliés.