Incrédules, les joueurs de la NBA assistent à une spectaculaire transformation cet automne. Michael Jordan, jadis payé 30 millions annuellement par les Bulls de Chicago, est devenu un propriétaire intraitable, déterminé à limiter les salaires de ses successeurs.

Si le conflit dans la NBA a pris une tournure pour le pire, lundi, c'est notamment en raison de l'influence de Jordan. Désormais proprio des Bobcats de Charlotte, il est le leader informel d'un groupe d'une dizaine d'équipes réclamant des modifications profondes au système économique du basketball professionnel.

Oui, c'est bien le même Jordan qui, à la fin des années 90, faisait la morale aux proprios, suggérant même à celui des Wizards de Washington de vendre son équipe s'il était incapable de générer des profits!

Ce changement d'attitude ne devrait pas nous étonner. Car, si une constance existe dans la carrière de ce joueur mythique, c'est bien cette propension à se transformer sous nos yeux.

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Au printemps 1994, je me suis retrouvé devant Michael Jordan, au camp d'entraînement des... White Sox de Chicago!

Cette année-là, le célèbre numéro 23 avait abandonné le basketball pour tenter sa chance au baseball. Jadis roi de sa discipline, voilà qu'il se retrouvait au sein de l'anonyme relève des White Sox. L'événement avait attiré des journalistes de partout dans le monde, dont plusieurs ne connaissaient rien au passe-temps national des Américains. Mais Jordan transcendait les sports et sa décision constituait une grosse histoire partout sur la planète.

Après un entraînement, je l'ai approché dans le vestiaire adjacent au terrain. À ma surprise, il a répondu gentiment à mes questions.

Je me souviens de m'être pincé après l'entrevue! Un an plus tôt, il aurait fallu écrire une demande officielle aux relationnistes des Bulls pour obtenir une parcelle de cet accès. Sans effort apparent, Jordan s'était métamorphosé de gigantesque vedette du basket en joueur des ligues mineures de baseball, affichant l'humilité de circonstance.

L'aventure de Jordan au baseball n'a pas duré. Il est retourné avec les Bulls, où il a remporté d'autres championnats. Mais le ton était donné. Michael Jordan ne craint pas le changement, au risque d'étonner et parfois de décevoir ses admirateurs. Ces jours-ci, plusieurs joueurs de la NBA estiment que Jordan a oublié ses racines.

«Les gars pensent qu'il ne nous appuie pas au moment où on aurait le plus besoin de lui. Mais il est un proprio maintenant...», a déclaré Ron Artest, des Lakers de Los Angeles, aussi connu sous le joli nom de Metta World Peace. (1)

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Depuis plusieurs mois, la NBA plaide l'appauvrissement. Ses équipes ont perdu plus de 300 millions au cours de la dernière saison, répète David Stern. Évidemment, le commissaire de la NBA n'évoque pas le nouveau contrat de télévision des Lakers de Los Angeles, une entente frôlant les 200 millions par année! Les Celtics de Boston sont aussi sur le point d'augmenter leurs recettes à ce niveau.

Plutôt que d'améliorer le partage des revenus entre ses équipes, la NBA préfère régler ses ennuis en puisant dans les poches des joueurs. Et ceux-ci ont offert leur collaboration. Ils ont accepté de réduire de 57% à 50% leur part des revenus générés par la NBA, une remise annuelle de 280 millions.

Prétextant l'équilibre des forces, les proprios ont d'autres exigences. Ils proposent un système visant à pénaliser les équipes riches dans la course aux joueurs autonomes.

Les joueurs, avec raison, estiment avoir consenti assez de concessions. Leurs représentants n'ont pas apprécié l'ultimatum lancé par Stern vendredi: «Acceptez notre offre, sinon la prochaine sera beaucoup moins généreuse», a-t-il dit, en substance. Cette stratégie malhabile lui a explosé en plein visage.

Devant cette attitude des proprios, les joueurs ont sabordé leur syndicat et se sont regroupés au sein d'une association professionnelle. À leur avis, cette décision rend le lock-out illégal et leur permet de poursuivre leurs patrons en vertu des lois sur la concurrence. La bataille juridique est engagée.

Commentant ces développements, Stern a affirmé que les joueurs étaient les grands perdants. «Les chèques de paie ne seront pas émis... Les joueurs ont été mal conseillés.»

Comme si les proprios n'étaient pas aussi dans le pétrin!

Si la saison est annulée, combien d'années seront nécessaires pour retrouver la confiance des fans? Quel sera l'impact sur les cotes d'écoute à la télé lors de la reprise? Les partenaires corporatifs seront-ils au rendez-vous? Avec quels revenus les proprios rembourseront-ils les dettes liées au coût d'achat de leur concession ou à la construction d'un nouvel amphithéâtre?

Michael Jordan et les autres faucons de la NBA doivent réfléchir aux conséquences de cette stratégie de confrontation. Tout comme Gary Bettman et ses associés qui, en préparant les négos de 2012, seront sûrement tentés de jouer dur à leur tour.

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source: (1) CBS Sports

Photo: AP

Michael Jordan est devenu un propriétaire intraitable.