Bon, voilà une autre ville américaine qui vient jouer dans les platebandes du Grand Prix du Canada! Cette fois, c'est New York, avec son gigantisme, sa magie et son argent.

En 2013, la Formule 1 s'arrêtera au New Jersey, à l'ombre des gratte-ciel de Manhattan, de l'autre côté de la rivière Hudson. De Times Square, une petite demi-heure sera suffisante pour atteindre le circuit. Un beau cadeau de fête pour Bernie Ecclestone, qui célébrera ses 81 ans demain.

New York, c'est le rêve du pape de la Formule 1 depuis 25 ans. Il a même songé à faire courir ses bolides autour de Central Park, jusqu'à ce que des esprits plus sages lui fassent comprendre que l'initiative serait mal reçue par les riches résidants du coin.

Ecclestone a donc imité les Giants et les Jets de New York, de la NFL. Il s'est rabattu sur le New Jersey, s'assurant simplement que les caméras de télé pointeront vers Manhattan le jour de la course. Le panorama de la plus célèbre ville américaine attirera, espère-t-il, de grandes sociétés américaines, actives sur la scène internationale, mais qui n'ont jamais démontré d'intérêt envers son produit.

Tous les fans de Formule 1 se réjouissent de l'entrée de New York dans le Grand cirque. Sauf ceux de Montréal. L'arrivée de ce puissant concurrent suscite, avec raison, des inquiétudes.

Notre Grand Prix a été si souvent pris en otage au cours des dernières années que nous avons développé une drôle de relation avec lui. Malgré son énorme succès populaire, on le sent fragile, perpétuellement menacé par les jeux de coulisses dont Bernie raffole.

Accorder une course à New York, qui devient subitement un si dérangeant voisin, est-ce le premier pas pour priver Montréal de ce magnifique rendez-vous?

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À l'autre bout du fil, Patrick Carpentier est direct. «La Formule 1 n'a jamais fonctionné aux États-Unis. Des essais ont eu lieu dans plusieurs villes, mais sans grand succès. Tiens, pendant des années, les reprises des courses étaient diffusées au milieu de la nuit! Ça s'est amélioré un peu, mais pas assez pour menacer le Grand Prix du Canada.»

Carpentier, un des meilleurs coureurs québécois de l'histoire, est établi à Las Vegas depuis une dizaine d'années. Il sait mieux que quiconque à quel point les Américains sont d'abord attachés au Nascar. Il s'agit d'un phénomène culturel, surtout dans le sud du pays.

Au cours des 30 dernières années, des courses de Formule 1 ont eu lieu à Watkins Glen, dans l'État de New York, Long Beach, Detroit, Las Vegas, Dallas, Phoenix et Indianapolis. Partout, le succès devait être au rendez-vous. Surtout à Indianapolis, où on aime le parfum de l'huile à moteur.

Rappelons-nous: le petit univers de la F1 était super enthousiaste à l'idée de débarquer dans le Midwest. Le désenchantement a été brutal. «Pas le bon genre de foule», a dit Ecclestone, constatant l'échec.

Cela ne l'empêche pas de poursuivre son ambition américaine. Une course aura lieu à Austin, au Texas, en 2012. Puis celle de New York-New Jersey sera inaugurée l'année suivante.

Les promoteurs de ces deux épreuves versent sans doute à Bernie Ecclestone des redevances moins généreuses que leurs homologues d'Abu Dhabi et de Bahreïn. Mais ils livrent un meilleur marché économique, dont toute l'industrie automobile profitera... si le succès est au rendez-vous.

À New York, les chances sont bonnes; à Austin, c'est moins sûr.

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Montréal est assuré de son Grand Prix jusqu'en 2014. Et après, vous demandez? La réponse se trouve au Québec, pas à New York ou Austin.

Si les gouvernements sont prêts à investir de nouveau un minimum de 15 millions par an pour préserver l'événement, cela facilitera la reconduction de l'entente. Ce montant constitue la base de la somme versée à Ecclestone. La clé de l'affaire se situe d'abord à ce niveau.

Quant au nombre de courses qui augmente sans cesse, ce n'est pas inquiétant pour Montréal. Le calendrier 2011 prévoyait la tenue de 20 Grand Prix avant l'annulation de celui de Bahreïn. Il y a encore de la marge, puisque Bernie Ecclestone a déjà évoqué une saison de 25 courses!

La Formule 1 a beaucoup changé au cours des dernières années. Le calendrier s'étendra bientôt jusqu'au mois de décembre. Les équipes traversent les continents et se rendent aux quatre coins du monde. Ce week-end, par exemple, New Delhi accueille son premier Grand Prix. Sotchie, en Russie, obtiendra sans doute une course en 2014.

Oui, la concurrence est vive comme jamais. Mais Montréal détient les atouts pour conserver sa place... pourvu que les promoteurs du Grand Prix du Canada ne s'assoient pas sur leurs lauriers. Ils devront être imaginatifs afin de renouveler l'événement et attirer les touristes en grand nombre.

L'attribution d'une course à New York-New Jersey constitue une menace... uniquement si tous les acteurs de la Formule 1 à Montréal la perçoivent ainsi.

S'ils croient plutôt qu'il s'agit d'une belle occasion d'affronter la concurrence, et s'ils restent unis afin de maintenir nos acquis, ils relèveront ce nouveau défi.