Aux États-Unis, les batailles entre les chaînes spécialisées de sport et les distributeurs sont féroces. Tenez, la passe d'armes entre la NFL et Time Warner, un des plus importants câblos des États-Unis, dure depuis huit ans!

Ce différend commercial fait en sorte que 14 millions de foyers américains sont privés du NFL Network depuis sa création en 2003. Le réseau diffuse, en plus de ses émissions sur les activités de la ligue, huit matchs du jeudi soir en deuxième moitié de saison.

L'intérêt des fans, la responsabilité sociale des entreprises, la popularité du football, tout cela n'a pas incité les parties à jeter du lest dans les négociations. Chacune d'elles campe sur ses positions et Time Warner n'offre toujours pas NFL Network à ses abonnés.

Mais au Québec, où la lutte pour la protection de la langue française est une préoccupation majeure, et où la télévision crée des emplois intéressants, avons-nous le loisir de nous offrir ces querelles entre des entreprises fortunées, et cela aux dépens des téléspectateurs et des artisans de ces chaînes?

Le 12 septembre dernier, Quebecor Media a lancé TVA Sports. Vidéotron, membre de l'empire, a évidemment offert la nouvelle chaîne à ses abonnés. Mais pas Cogeco, ni Bell Media, propriétaire de RDS. Une décision déplorable, à mon avis. La qualité des ondes se nourrit de la concurrence.

«Nous examinons toujours la possibilité d'ajouter TVA Sports à notre liste de canaux, mais nous ne sommes pas en mesure d'offrir plus d'information», déclare Marie-Ève Francoeur, porte-parole de Bell.

Cette semaine, Bell Media lancera RDS 2. Les abonnés de Vidéotron y auront-ils droit? Les négociations se poursuivent, affirme Serge Sasseville, porte-parole de Quebecor Media.

«En tout état de cause, si nous ne pouvions nous entendre sur le tarif exigé par Bell/CTV, nous proposerons le service à la carte qui permettra à nos clients qui le désirent de s'abonner à RDS 2», ajoute-t-il, dans un texte qu'il m'a transmis.

La lettre de M. Sasseville illustre l'étendue des mauvaises relations entre Quebecor Media et Bell. Il affirme que «Bell refuse systématiquement de distribuer les nouvelles chaînes de Groupe TVA».

D'autre part, la Cour supérieure entend cet automne un procès dans lequel Quebecor réclame 304 millions à Bell. Bref, l'ambiance entre les deux entreprises est lourde.

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Dans un monde idéal, les téléspectateurs québécois devraient avoir accès à toutes les chaînes de sport, peu importe la compagnie de distribution avec qui ils font affaire. Mais il faudra sans doute s'armer de patience.

En Ontario, ce n'est que neuf mois après le lancement de TSN 2 que Rogers a proposé cette chaîne à ses abonnés. La négociation des redevances et l'intégration aux différents forfaits est toujours serrée et retarde souvent les ententes.

C'est dommage, puisque RDS et TVA Sports consentent de gigantesques efforts humains et financiers pour présenter le meilleur produit possible. Les deux entreprises ont investi des millions de dollars au cours des derniers mois.

Cette concurrence augmente l'offre de manière considérable. On verra plus de hockey, plus de basket, plus de baseball et plus de soccer, en français, à la télévision.

Cela se traduit par une hausse des emplois dans un secteur motivant, notamment pour les jeunes. Il ne faudrait pas qu'une querelle de distribution stoppe cet essor. Dans la grande bataille de la télé sportive, le contenu de la grille horaire et la qualité des intervenants en ondes doivent faire foi de tout.

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Quel sera l'avenir de RDS et de TVA Sports? Deux éléments seront déterminants: l'arrivée ou non d'une équipe de la LNH à Québec et le prochain contrat de télévision du Canadien.

Si le retour des Nordiques se concrétise, TVA Sports profitera d'un point d'ancrage pour solidifier son auditoire et développer un contenu attrayant. Même si l'équipe devait être déficitaire, le propriétaire y trouvera son compte.

La télé, contrairement à ce qu'on croit souvent, n'est pas gratuite! À chaque mois, les abonnés des distributeurs, c'est-à-dire nous tous, payons plusieurs dollars pour avoir accès aux chaînes spécialisées.

Ainsi, RDS, qui reçoit les plus hautes redevances au Québec, a touché 56 millions à ce chapitre en 2010, selon le CRTC. Ses profits avant impôts ont atteint 24,3 millions, un chiffre qui fait sûrement rêver Quebecor Media.

Le retour des Nordiques augmenterait les parts de marché et les revenus de TVA Sports, tout comme la présence du Canadien explique l'expansion de RDS. La force d'attraction du CH est telle que cette année, sept des huit matchs pré-saison ont été diffusés!

Le contrat de RDS avec le Canadien et la LNH prendra fin en juin 2014. Quebecor Media est intéressée à tenter sa chance, peu importe qu'elle devienne ou non propriétaire d'une équipe à Québec. Pierre Dion, le président du réseau, l'a confirmé à mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot le mois dernier.

Quant à Gerry Frappier, son homologue de RDS, il espère qu'à propositions égales, les bonnes relations développées avec ses partenaires au cours des dernières années lui permettront de conserver le morceau.

Chose sûre, le réseau gagnant devra mettre beaucoup d'argent sur la table s'il souhaite obtenir l'exclusivité. Le montant des droits versés par RDS n'est pas dévoilé mais, selon mes informations, il se situe autour de 30 millions annuellement. Compte tenu des cotes d'écoute des matchs, il s'agit d'une aubaine. Et cette aubaine ne durera pas.

Au Québec, la bataille de la télé sportive ne fait que commencer.