D'entrée de jeu, ma déclaration d'intérêt: je collaborais à CKAC Sports depuis mars dernier comme chroniqueur à l'émission du matin de Michel Langevin et Gabriel Grégoire. Cet été, j'ai piloté le show du midi à trois reprises. J'aime la radio et ce retour aux sources, aux côtés de ces passionnés, m'a procuré un grand plaisir.

Mes liens avec CKAC ne datent en effet pas d'hier. À mes débuts dans le journalisme comme correspondant du Soleil à Montréal dans les années 1980, Richard Morency, alors le grand patron des sports à la station, m'a confié plusieurs remplacements. Ce fut un moment-clé de ma carrière. Sans ce passage dans les studios de la rue Metcalfe, pas sûr que La Presse m'aurait embauché. Et ma vie n'aurait pas été la même.

Le dynamisme et la ferveur de Richard pour son métier m'ont profondément marqué. Je le vois encore quitter son bureau d'un pas rapide après avoir obtenu une information privilégiée. «Vérifiez ça!» lançait-il, enthousiaste. Dans son esprit, CKAC devait être première sur la nouvelle, devant toutes ses concurrentes.

Au fil des années, CKAC a subi plusieurs transformations et souffert de la migration des auditeurs vers la bande FM. Mais elle a refusé de mourir. En effectuant un virage sport en 2007, elle se donna une nouvelle vie sous le leadership de Michel Tremblay. Son amour du métier et son professionnalisme ont fait de lui un digne successeur de Richard Morency. Bien sûr, beaucoup de travail restait à accomplir. Mais le flambeau était entre bonnes mains.

Michel Tremblay, Jean Gagnon et leur équipe ont bâti CKAC Sports brique par brique, au point d'en faire un élément incontournable de la vie sportive montréalaise. Non, la construction n'était pas complétée. Mais au-delà des trop nombreuses discussions sur chaque soubresaut du Canadien, la station contribuait de manière marquée au journalisme de sport.

Ses entrevues de fond avec des intervenants-clés du milieu, sur des sujets importants comme les commotions cérébrales, l'avenir du hockey québécois ou la situation économique des équipes professionnelles, alimentaient le débat. Sans compter des moments inattendus, comme ces entretiens avec des acteurs méconnus du sport.

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En mai dernier, le ministère des Transports du Québec a accordé une subvention de 9 millions en trois ans à Cogeco, propriétaire de CKAC, pour lancer deux chaînes consacrées à la circulation, la première en français et l'autre en anglais.

Qui aurait alors pensé que cette subvention étonnante conduirait à la fermeture de CKAC Sports? Qui aurait pensé que le gouvernement du Québec, si fier de lancer il y a deux ans une vaste consultation sur l'avenir du journalisme au Québec, contribuerait si directement à réduire la pluralité de l'information sportive?

Dans son blogue sur Cyberpresse, Stéphane Laporte déplorait avec raison que l'argent des citoyens serve à les déposséder d'une station écoutée par des milliers de personnes.

Il aurait été rassurant d'entendre la ministre de la Culture et des Communications, Christine St-Pierre, elle-même ancienne journaliste, exprimer un malaise face à cette décision. À moins qu'au plus haut niveau de l'État, on ne considère pas le sport comme un élément fondamental de notre culture.

Cela dit, le ministère des Transports, dont la gestion des dossiers ne fut guère rassurante au cours des dernières années, verra-t-il son travail remis en cause sur cette nouvelle antenne?

Souhaitons-le. Car si on juge la circulation importante au point de retirer des ondes une station consacrée au sport, on ne peut se contenter de dresser la liste des bouchons à chaque matin. Faudra aussi fouiller quelques dossiers. L'effondrement d'une poutre de béton dans le tunnel Ville-Marie cet été, histoire dans laquelle le ministère des Transports s'est retrouvé en pleine controverse, en représente un bon exemple.

Cet été, Cogeco a compris que ses chances de convaincre le CRTC de lui accorder la fréquence 690 pour sa station de circulation étaient minimes. Les arguments de Bell Media et d'Astral, qui s'opposaient à cette demande, étaient solides, comme en font foi les documents déposés. Dans ce contexte, Cogeco n'a pas attendu la décision finale du CRTC.

On peut arguer, comme l'ont fait les dirigeants de Cogeco, qu'une station entièrement consacrée à la circulation est désormais un «besoin criant» de notre vie collective. C'est pour le moins étirer l'élastique. Sans subvention du ministère des Transports, qui assurera une excellente rentabilité aux opérations, Radio Circulation 730 n'aurait probablement jamais vu le jour. Et CKAC Sports serait toujours vivante.

Tout cela est bien dommage.

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Les grandes villes nord-américaines, comme New York, Toronto et... Québec, comptent une station radiophonique consacrée aux sports dans la langue de la majorité. Ce n'est plus le cas de Montréal.

Demain, le CRTC dévoilera les propositions des entreprises intéressées par les fréquences 690 et 940. Cogeco proposera de mettre en ondes le volet anglophone de Radio Circulation sur l'une d'elles.

De son côté, Bell Media souhaite transférer Team 990, une radio sport de langue anglaise, sur l'autre. Pour des raisons techniques, la fréquence 990 réduit sa puissance en soirée, un désavantage concurrentiel. Bell Media, aussi propriétaire de RDS, soutient que Team 990 ne fait pas ses frais et propose un déplacement vers une fréquence plus porteuse.

Team 990 a marqué un gros coup cet été en obtenant les droits de radiodiffusion des matchs du Canadien pour les sept prochaines saisons. Bell Media ou un autre groupe proposeront-ils un jour au CRTC d'exploiter une station radiophonique de langue française consacrée au sport?

En attendant la réponse à cette question, allons vérifier si ça roule bien sur Décarie sud...