Dans sa valise, Novak Djokovic ne transporte pas seulement ses raquettes lorsqu'il voyage partout sur la planète. Il porte aussi l'honneur de la Serbie, un pays qui a laissé une empreinte noire sur la fin du XXe siècle. De tous les grands champions actuels, peu importe le sport, aucun n'est confronté à une telle responsabilité envers ses compatriotes.

En mai dernier, Vladimir Petrovic, l'ambassadeur de Serbie aux États-Unis, a déclaré au magazine Sports Illustrated: «Novak Djokovic est le plus bel élément de relations publiques dont notre pays n'a jamais profité. Il représente le visage positif de la nouvelle Serbie démocratique.»

Si Djokovic doutait un seul instant de son rôle national, les propos de l'ambassadeur ont sûrement balayé ses doutes. «Recevoir un tel compliment est très flatteur», a-t-il dit, hier, lorsque je lui ai rappelé cette déclaration après sa victoire convaincante contre le Croate Marin Cilic.

«C'est un honneur de représenter son pays et j'essaie de le faire de mon mieux. La Serbie n'est pas très grande, mais nous obtenons beaucoup de succès en sport. Au cours des 10 ou 15 dernières années, nos athlètes ont été nos meilleurs ambassadeurs. Cela entraîne beaucoup de pression et d'attentes, mais on essaie de le faire avec plaisir et de bien faire voir d'où nous venons. C'est très agréable de recevoir la reconnaissance du peuple serbe pour ce que nous faisons.»

Djokovic affichait un grand sourire en répondant à ma question. Manifestement, il assume avec sérénité ce rôle de porte-drapeau de la Serbie. Dimanche, peu après son arrivée à Montréal, il avait déjà abordé la question avec franchise. «Je viens d'un pays qui a affronté de nombreuses difficultés dans le passé. Son image n'est toujours pas la meilleure du monde. En tant qu'athlète, j'essaie d'améliorer les choses.»

La Serbie poursuit en effet son opération de réconciliation avec le reste du monde. En mai dernier, l'arrestation sur son territoire de Ratko Mladic, ex-chef militaire des Serbes de Bosnie mêlé au massacre de Srebrenica, a constitué une étape déterminante en ce sens.

Et avec Novak Djokovic, elle offre au monde un champion sympathique et doué, multilingue et ouvert sur le monde. La Serbie ne pouvait souhaiter meilleur représentant.

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Pour les amateurs familiers avec les débuts professionnels de Djokovic, il est presque étonnant de le voir auréolé aujourd'hui d'un tel prestige. Si son talent n'a jamais fait de doute, c'est aussi par ses imitations très réussies des meilleurs joueurs qu'il s'est fait connaître.

Encore aujourd'hui, on peut voir sur YouTube des vidéos où Djokovic s'amuse des tics de Rafael Nadal - l'ajustement des bobettes - ou de Maria Sharapova - la remise en place des cheveux. Son talent de comédien ne fait aucun doute.

Au-delà de ces facéties, on retrouve cependant un jeune homme sérieux qui, malgré les bombes tombant sur le Belgrade de son enfance, a toujours mis le tennis au coeur de sa vie. Comme s'il pressentait dès ce jeune âge que le sport lui vaudrait une vie meilleure. Cette persévérance lui permettra sans doute de demeurer longtemps numéro un mondial. Il a enfin atteint son objectif et ne lâchera pas prise facilement.

«Le progrès est un long processus, explique Djokovic. On n'obtient pas le succès du jour au lendemain. Et on traverse des périodes difficiles. L'objectif est d'en ressortir plus fort et plus mature, comme joueur et comme personne.»

L'observation semble banale, mais elle est révélatrice de la mentalité des athlètes de pointe. Ils transforment les reculs et les échecs en expérience positive, un défi nettement plus difficile qu'il n'y paraît. Plus tôt cette année, Jennifer Heil, médaillée d'or olympique, a dit la même chose à sa façon: «Des imprévus et des difficultés apparaissent toujours. Il faut trouver la volonté de les surmonter. C'est ainsi qu'on développe sa force.»

Au début de la saison 2010, Djokovic a connu des ennuis sur le terrain. Aujourd'hui, il qualifie même de «crise» cette période. Puis, en adaptant sa diète à son allergie au gluten - fini les pâtes, les pizzas et le pain - et en raffinant son entraînement, il s'est imposé comme le meilleur joueur de l'heure.

Même un esprit caustique comme Jimmy Connors a salué cette transformation. «Il y a un an ou deux, Djokovic semblait épuisé après deux sets. Maintenant, il tient le rythme face à Nadal sur la terre battue!»

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En Serbie, Djokovic et sa famille exploitent une société nommée Family Sport, vouée à la promotion du sport. Le Centre de tennis Novak, un complexe de huit terrains, constitue le coeur de l'affaire. Une fondation humanitaire a également été créée.

«Nous sommes aussi propriétaires d'un tournoi de tennis que nous organisons, explique Djokovic. Il se joue dans un lieu qui nous appartient, dans un endroit magnifique. Nous l'avons organisé au cours des trois dernières années. Ce tournoi est encore petit, mais nous cherchons à l'améliorer.»

L'organisation d'événements sportifs internationaux, même modestes, constitue une autre étape de la renaissance de la Serbie. Une médaille d'or en tennis masculin aux prochains Jeux de Londres constituerait une brillante façon de célébrer ce cycle initial. Djokovic souhaite de tout coeur la remporter.

«Les Jeux ne sont comparables à aucune autre compétition. Tous les sportifs veulent gagner une médaille d'or aux Olympiques. Le monde entier suit cette compétition. J'attends avec impatience les prochains Jeux.»

À Londres, plus que jamais, Dkokovic aura tout son pays derrière lui.

Photo: Bernard Brault

Avec Novak Djokovic, la Serbie offre au monde un champion sympathique et doué, multilingue et ouvert sur le monde. Elle ne pouvait souhaiter meilleur représentant.