Dans l'univers de Twitter, on ne trouve pas plus habile que Lance Armstrong. Résumer sa pensée en 140 caractères ne lui pose aucun défi.

La semaine dernière, lorsque son ancien coéquipier Tyler Hamilton l'a accusé de dopage, Armstrong a répliqué dans un message adressé à ses trois millions de fidèles.

«Carrière de plus de 20 ans. 500 tests anti-dopage partout dans le monde. Jamais de test positif. Je n'ai rien à ajouter.»

En fait, Armstrong en a rajouté beaucoup dans les jours suivants. Il a notamment renforcé son équipe d'avocats en prévision des prochains épisodes de cet incroyable feuilleton: Lance Armstrong, sept fois champion du Tour de France, a-t-il triché?

Dans la défense de sa réputation, malmenée par les accusations d'anciens coéquipiers, employés ou partenaires d'affaires, Armstrong affronte un adversaire de taille.

Lui, si longtemps le patron du peloton, se retrouve dans la mire de l'agent fédéral Jeff Novitzky qui, depuis plusieurs années, consacre ses énergies à débusquer des cas de dopage chez les athlètes américains.

L'affaire Balco, qui a valu un procès à Barry Bonds, le roi des coups de circuit, et six mois de prison à Marion Jones, la sprinteuse médaillée d'or des Jeux de Sydney, c'est lui. Et voilà que Novitzky, justicier aux méthodes controversées - il a déjà fouillé dans les poubelles du laboratoire Balco pour recueillir des preuves -, a ciblé Armstrong.

Malgré sa bravade, le champion cycliste sait que Novitzky ne lâchera pas prise. De là l'embauche d'avocats spécialisés. L'un d'eux, John Keker, a émis ce communiqué, repris par le New York Times.

«Nous connaissons Novitzky, et entendons prouver qu'il cautionne des fuites répétées et illégales d'informations visant à détruire un véritable héros, non seulement du monde sportif, mais de la lutte contre le cancer. Que le gouvernement dépense l'argent des contribuables pour enquêter sur des courses de vélo tenues en Europe il y a plusieurs années constitue un outrage.»

La déclaration de Keker illustre le cadre dans lequel se jouera l'affrontement Armstrong-Novitzky.

Premier constat: les deux camps se détestent.

Dans un fascinant reportage publié en janvier dans Sports Illustrated, on raconte cette anecdote mettant en vedette Juan Pelota, pseudonyme sous lequel Armstrong opère un autre compte Twitter. (Ce nom constitue un rappel volontaire que le cancer l'a privé d'un testicule, Juan Pelota sonnant comme «une boule»).

Apprenant que Novitzky enquêtait à son sujet en Europe, Armstrong écrivit, avec mépris: «Hé Jeff, comment sont les hôtels quatre étoiles et la classe Affaires dans l'avion? Qu'as-tu besoin de plus?»

Quant aux nouveaux avocats d'Armstrong, ils luttent depuis longtemps contre Novitzky, ayant représenté l'Association des joueurs du baseball majeur dans des cas de dopage. Ils attaqueront sa crédibilité, en l'accusant de mener une vendetta contre leur client.

Deuxième constat: la bataille de l'opinion publique s'annonce féroce.

Le communiqué de Keker rappelle le rôle d'Armstrong dans la lutte contre le cancer. Sa fondation «Livestrong» sera évoquée pour le camper dans le rôle du citoyen engagé, victime des fixations d'un bureaucrate gouvernemental.

Sur un site parrainé par Armstrong (facts4lance), on retrouve d'ailleurs une section réservée à des extraits d'articles, où des observateurs s'interrogent sur l'utilisation de fonds publics dans la recherche de la vérité sur le dopage d'athlètes.

À la suite du jugement rendu en avril dans l'affaire Barry Bonds, cette thèse a gagné en popularité.

Après des années d'enquête, l'ex-joueur des Giants de San Francisco a été trouvé coupable d'une seule infraction d'entrave à la justice. Les accusations les plus sévères n'ont pas convaincu le jury.

Pour Bonds, ce verdict a représenté une victoire.

Le scénario se ressemble, peu importe s'ils s'appellent Geneviève Jeanson ou Floyd Landis. Pendant des mois, ils nient s'être dopés avant de craquer.

Le cas d'Armstrong est différent. D'abord, il n'est confronté à aucun test positif. Ensuite, sa volonté lui permet de contre-attaquer sans relâche malgré les soupçons. Dans sa situation, d'autres garderaient un profil bas. Ce n'est pas son style.

Ainsi, lorsque Tyler Hamilton, après l'avoir accusé de dopage et reconnu sa propre culpabilité, a remis sa médaille d'or des Jeux d'Athènes, Armstrong a félicité Viatcheslav Ekimov, médaillé d'argent à qui l'or sera sans doute attribué.

Des bravos à un ami, certes; mais surtout un direct au visage d'un nouvel ennemi, devant trois millions de témoins sur Twitter.

Lance Armstrong pourrait être convoqué devant le grand jury qui examine son dossier.

D'autres développements sont possibles, notamment à la suite des allégations de corruption au sein de l'Union cycliste internationale lancées par Hamilton, et dont Pierre Foglia faisait état dans sa chronique de mardi.

En attendant ces rebondissements, pourquoi ne pas lire les mémoires de Laurent Fignon, double champion du Tour de France? Voici un passage amusant, où il raconte une course sans intérêt, reconnue pour son absence de tests de dopage.

«Moi, j'avais abandonné et, arrivé assez tôt sur le site de l'arrivée, avec l'aide de quelques autres, nous avions confectionné une fausse pancarte accrochée à la devanture d'un petit local: «Contrôle».

«Après avoir franchi la ligne d'arrivée, on tombait forcément dessus: ça faisait son effet. Quel spectacle! On a vu les gars en panique, ils se décomposaient littéralement. C'était réjouissant. On en a rigolé longtemps...»

Pour Lance Armstrong, l'heure du grand contrôle approche. Pas sûr que ça se terminera dans la rigolade.