Geoff Molson a du cran. Sa lettre ouverte diffusée hier, quelques heures après que Gary Bettman eut défendu avec énergie l'absolution de Zdeno Chara, constitue du rarement vu dans l'histoire centenaire du Canadien.

Même après la suspension de Maurice Richard en 1955, le propriétaire de l'époque, le sénateur Donat Raymond, n'a pas attaqué si publiquement la direction de la ligue.

Nouveau membre du club sélect des gouverneurs de la LNH, Molson a fait fi du code informel régissant son fonctionnement. Les convenances lui dictaient de faire ses classes et de respecter l'autorité avant de s'autoriser pareil coup d'éclat. Mais voilà: Geoff Molson saisit une réalité fondamentale. Il n'est pas propriétaire des Predators de Nashville ou des Panthers de la Floride, mais du Canadien de Montréal.

Cette équipe, ayant jadis appartenu à son grand-père, Thomas, et son grand-oncle, Hartland, a contribué plus que toute autre à bâtir la LNH.

Cette tradition familiale lui permet de comprendre mieux que quiconque son rôle de fiduciaire. Dans sa lettre, il le rappelle de manière éloquente.

L'équipe, écrit-il, représente une «véritable institution» et «un leader au sein de la Ligue nationale depuis plus d'un siècle». Dans un message clair à Gary Bettman, il indique ensuite qu'il ne se taira pas : «Vous pouvez compter sur nous pour continuer d'occuper ce rôle dans les années à venir.»

Bettman est un homme intelligent. Il réalise sûrement que son emprise sur le circuit, qui lui permet de dicter sa ligne de conduite avec une arrogance stupéfiante, est désormais contestée. Puisque son monde semble de plus en plus se diviser en deux, d'un côté les amis et de l'autre les ennemis, on sait maintenant que Geoff Molson fait partie du second camp.

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La sortie de Geoff Molson constitue une formidable dénonciation de la culture du déni en vigueur dans la LNH.

À Washington hier, Gary Bettman a répété que l'augmentation du nombre de commotions cérébrales était le résultat de gestes accidentels, n'ayant aucun rapport avec une hausse des coups illégaux. Selon lui, la blessure de Max Pacioretty tombe dans cette catégorie.

Bettman est allé encore plus loin, banalisant l'importance des suspensions et niant leur effet dissuasif. «Je ne crois pas qu'une sanction supplémentaire aurait changé quoi que ce soit à ce qui s'est produit.»

La réplique de Geoff Molson est féroce: «Notre organisation croit que la sécurité des joueurs de la Ligue nationale est sérieusement compromise et que cette situation a atteint un niveau alarmant. La sécurité des joueurs doit être notre ultime priorité et cette situation doit être abordée sans plus de délai.»

Ce constat, qui résume parfaitement la situation, constitue un direct au visage de Bettman et de ses associés. Il s'agit d'un désaveu clair de leurs politiques en matière de contrôle de la violence. Au moment où la LNH discute avec les réseaux américains afin de renouveler ses ententes de télédiffusion, la LNH aurait sûrement souhaité faire l'économie de cette controverse.

Plus encore: le propriétaire du Canadien lance un message aux 29 autres équipes de la LNH. Joignez-vous à moi, leur dit-il en substance, et nous trouverons des solutions pour enrayer ce fléau. Cette proposition constitue une fronde à l'égard de Bettman, une invitation à se rallier autour de lui, et non pas autour du commissaire.

Bettman se retrouve dans une situation très inconfortable et entièrement nouvelle pour lui. Avant la publication de cette lettre, son leadership n'avait jamais été ouvertement remis en cause par un membre du Bureau des gouverneurs. Cette phrase très simple de la lettre de Geoff Molson - «L'organisation des Canadiens n'est pas d'accord avec la décision rendue hier par la LNH.» - constitue un puissant symbole.

En s'adressant lui-même aux partisans, plutôt qu'en confiant cette tâche à Pierre Boivin ou Pierre Gauthier, Geoff Molson s'est aussi montré très habile. D'une part, il affirme son leadership. D'autre part, il sait fort bien que Bettman risquerait gros en voulant lui imposer une amende pour insubordination. En tant que propriétaire d'équipe, Molson est un des 30 patrons de Bettman.

Croire que ceux-ci appuient tous le commissaire avec enthousiasme relève de la fantaisie. Sa propension à diriger la ligue comme s'il s'agissait de son entreprise personnelle, conséquence inévitable d'un trop long règne, en irrite sûrement plusieurs.

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Avec cette lettre, Geoff Molson joue gros. Nous saurons assez vite s'il imposera son agenda, ou si Gary Bettman réussira à l'isoler. La bataille s'annonce féroce.

Au sein même de l'organisation du Canadien, il est cependant clair que ce texte constitue un tournant dans l'histoire de l'équipe. Pour la première fois, Geoff Molson démontre être seul maître à bord.

Ses propos, rassurants pour les partisans, compliqueront la tâche du directeur général Pierre Gauthier, qui doit composer sur une base quotidienne avec les responsables des opérations hockey de la LNH. Mais elle le rendra populaire auprès de ses joueurs. Comme tous les employés, les hockeyeurs aiment sentir l'appui indéfectible de leur patron lorsqu'une tempête sévit.

En attendant la suite des événements, parions que Geoff Molson est rentré à la maison, hier soir, avec une certitude réconfortante en tête. Son grand-père, Thomas Molson, et son grand-oncle, Hartland de Montarville Molson, deux hommes ayant le courage de leurs convictions et qui adoraient le Canadien, auraient été fiers de lui.