En blanchissant Zdeno Chara, la direction de la LNH a rendu une décision servant ses propres intérêts corporatifs aux dépens de l'intégrité physique de ses joueurs. C'est le triomphe du déni.

La décision est lourde de conséquences. D'abord, elle constitue une invitation implicite à la justice canadienne à se mêler des affaires de la LNH.

Mon collègue Yves Boisvert suggérait pareille intervention dans un billet publié sur Cyberpresse, mardi soir. Le refus de la LNH d'assumer ses responsabilités augmente la probabilité que ce scénario se concrétise, que ce soit dans le cas de Chara ou d'un prochain incident. Chose sûre, la pression publique en ce sens sera énorme.

Ensuite, elle illustre un cruel manque de leadership au sein du circuit au moment où les commotions cérébrales constituent le problème de l'heure.

Le contraste avec la Ligue nationale de football est saisissant. En octobre dernier, la NFL a modifié ses règlements en plein coeur du calendrier lorsqu'elle a constaté une inquiétante augmentation des coups salauds, donnés dans l'intention de blesser un adversaire.

Du jour au lendemain, les amendes ont connu des hausses significatives. Quelques joueurs ont regimbé mais le message de la direction était clair: la violence gratuite dans le feu de l'action serait sanctionnée. Plus question de tolérer bêtement les manques de jugement. Cette attitude résolue a été couronnée de succès. Les joueurs les plus agressifs se sont adaptés à la nouvelle réalité.

Le texte de la décision de Mike Le texte de la décision de Mike Murphy, le préfet de discipline dans l'affaire Chara-Pacioretty, est révélateur. Il s'agit en partie d'un copier-coller de la conférence de presse de son patron, Gary Bettman, lors du match des Étoiles en janvier dernier.

Ce jour-là, Bettman a mis toute son énergie à banaliser la recrudescence des commotions cérébrales dans la LNH. Même l'absence de Sidney Crosby, la principale carte d'attraction du circuit, ne semblait pas l'inquiéter. Dans ce contexte, le sort de Max Pacioretty, un jeune ailier peu connu, ne pèse pas lourd.

Je vois encore Bettman, assis devant son micro, nier l'évidence de son assurance tranquille.

Non, disait-il, le hockey n'est pas devenu plus violent. Ces commotions cérébrales à répétition sont le résultat d'un désolant ensemble de circonstances. D'ailleurs, des chiffres le démontrent. Mais pas question de les rendre publics. Ces données, expliquait-il, sont confidentielles.

Bettman ajoutait: «La plus forte augmentation du nombre de commotions cérébrales vient de contacts accidentels ou par inadvertance, comme des rondelles à la tête, des collisions avec un coéquipier, ou des joueurs frappés légalement mais blessés lorsque leur tête a heurté la glace, les rampes ou la baie vitrée.»

Lisons maintenant cet extrait du communiqué de Mike Murphy: «Ce jeu a causé une blessure parce que le joueur est entré en collision avec la cloison, et ensuite la patinoire.»

Lorsque Gary Bettman mettra à jour ses «données confidentielles» sur les commotions cérébrales, il placera donc le nom de Pacioretty sous la colonne «Accidents». Cela lui permettra de maintenir ce discours abject qui banalise la gravité de cette blessure. Je comprends Bettman de conserver ces données secrètes. Les dévoiler l'exposerait au ridicule.

Compte tenu des ravages causés par les commotions cérébrales dans la LNH cette saison, on aurait pu croire qu'une réflexion en profondeur serait menée, que des réunions d'urgence seraient tenues. Pas du tout.

Trop occupé à sauver le hockey à Phoenix, Bettman s'en est tenu à l'agenda habituel. Au match des Étoiles, il a évoqué une future réunion des directeurs généraux afin de discuter de la question. Pas question de devancer l'échéancier, même si l'hécatombe se poursuit. Il serait sans doute trop difficile de modifier toutes ces réservations de chambres d'hôtel.

Selon la version officielle, Chara n'est donc pas responsable de la blessure de Pacioretty. Seule la cloison séparant les bancs des deux équipes, et la dureté de la glace, sont en cause. Du coup, la LNH trouve une façon commode d'évacuer son propre rôle dans l'affaire.

Le 9 février, après la foire d'empoigne à Boston entre le Canadien et les Bruins, la LNH n'a pas sévi. Pas d'amendes, pas d'avertissements, rien.

Ce silence constituait un message implicite aux joueurs: le spectacle était excellent, et c'était tout de même formidable de voir les esprits s'échauffer au point où les deux gardiens se sont battus au centre de la patinoire! Lâchez pas, les gars, vous nous rappelez le bon vieux temps, lorsque les bagarres se poursuivaient parfois jusque dans les couloirs du vieux Garden...

Dans ce contexte, la rencontre de mardi devenait à haut risque. Lorsque le Canadien a pris les devants 4-0, Zdeno Chara a voulu rappeler à ses adversaires qu'ils n'étaient pas seuls sur la patinoire. Pacioretty en a payé le prix.

La LNH doit déjà rêver aux cotes d'écoute d'une éventuelle série Bruins-Canadien le mois prochain.

Zdeno Chara blanchi, comment réagira la haute direction du Canadien? Aura-t-elle le courage d'imiter Mario Lemieux et de dénoncer publiquement ce hockey de ruelle? Est-il normal que des milliers de parents au Québec doivent expliquer à leurs enfants, à la table du petit déjeuner, pourquoi des joueurs de hockey demeurent inconscients sur la glace?

Pierre Gauthier doit sortir de sa réserve et exprimer son désaccord avec la décision du circuit. Il doit cette mise au point aux fans du Canadien, mais encore plus à la famille de Max Pacioretty. Se taire n'est pas la solution. S'il refuse de se mouiller, la responsabilité incombera à Pierre Boivin, puis à Geoff Molson.

Dans le dossier de la violence, la direction du Canadien doit choisir son camp: celui de Gary Bettman ou celui de Mario Lemieux.