Le souvenir est bien ancré dans ma mémoire. C'est au Colisée de Québec, le 28 décembre 1977, à l'occasion du Championnat mondial de hockey junior. Pour la première fois, je verrai jouer un garçon de 16 ans déjà connu d'un océan à l'autre.

Pourtant, il s'en est fallu de peu pour que Wayne Gretzky ne soit pas invité au sein d'Équipe Canada. Oh, bien sûr, il a déjà pulvérisé une foule de records dans le hockey mineur! Mais les bonzes du hockey junior canadien le croient trop jeune et trop frêle pour un tournoi de cette envergure. Comment pourra-t-il suivre le rythme? Au mieux, pensent-ils, il acquerra de l'expérience en observant ses camarades plus âgés. Les espoirs de l'équipe sont fondés sur Bobby Smith, un grand joueur de centre de 6'4, présenté comme la future grande vedette de la LNH.

Lorsque les joueurs sautent sur la glace, j'encaisse un premier choc. Le maillot d'Équipe Canada, orné d'une immense demi-feuille d'érable blanche, est... bleu! Comme si on avait voulu faire un clin d'oeil au Québec où le tournoi est disputé. (On s'en doute, l'initiative ne fut jamais répétée!) Mon second choc: observer Gretzky, mince comme une échalotte, dominer ses adversaires de son incroyable talent. Bobbby Smith est bon joueur, certes. Mais Gretzky se situe dans une classe à part.

Le Canada connaît néanmoins un tournoi difficile. Les dirigeants de l'équipe sont lents à reconnaître que Gretzky éclipse tous ses coéquipiers. Cette donnée inattendue n'est jamais intégrée au plan de match. Le Canada se contente de la médaille de bronze. Mais, le tournoi terminé, devinez qui occupe le premier rang des pointeurs...

Wayne Gretzky fut le meilleur joueur de l'histoire de la Ligue nationale de hockey. Sa carrière constitue un phénomène unique, presque une aberration dans l'histoire du sport professionnel. Son jeu tout en nuances a réinventé le hockey.

On dit parfois que Gretzky fut le Mozart ou le Beethoven de sa profession. Je le vois plutôt comme un peintre qui redessina son univers à sa façon, avec comme outils un hockey et une patinoire. Son indépendance d'esprit, remarquable à mon avis, contribua à une révolution du hockey professionnel.

À l'âge de 17 ans, Gretzky signa un contrat avec l'Association mondiale de hockey, un geste audacieux pour un jeune joueur promis à un si bel avenir. Il ne joua que huit matchs avec les Racers d'Indianapolis avant d'être échangé aux Oilers d'Edmonton.

Le jour de ses 18 ans, alors que plusieurs dirigeants de la LNH affirmaient qu'une fusion avec l'AMH était impensable, Gretzky accepta le contrat de 21 ans proposé par Peter Pocklington, le propriétaire des Oilers d'Edmonton, qui avaient acquis ses services deux mois plus tôt.

La LNH fut estomaquée: sans accord de fusion, Gretzky ne jouerait jamais dans la LNH! Ce constat joua un rôle dans la suite des événements. Deux mois plus tard, quatre équipes de l'AMH, dont les Oilers et les Nordiques, étaient acceptées dans la LNH.

En 1988, Gretzky accepta un échange aux Kings de Los Angeles. Les États-Unis composaient désormais son terrain de jeu et il donna à son sport un formidable retentissement outre-frontière. Son nouveau contrat entraîna à la hausse le salaire de tous les autres joueurs.

Wayne Gretzky comprit que son destin serait unique dès l'âge de 10 ans. Cet hiver-là, il marqua 378 buts en 69 matchs dans une ligue mineure de Brantford, la ville ontarienne où il naquit. Du jour au lendemain, ce garçon issu d'une famille modeste devint une célébrité canadienne.

Dans son autobiographie, il évoque ce moment avec des sentiments partagés: «C'est à ce moment qu'on m'a donné le surnom «The Great Gretzky». Je n'ai pas aimé ça à l'époque et ça m'embarrasse encore aujourd'hui. Mes amis m'appellent «Gretz»».

Cette confidence du numéro 99 explique en partie son exceptionnelle popularité, plus de 11 années après sa retraite du hockey. L'arrogance n'a jamais fait partie de son code génétique. Malgré ses exploits, il est demeuré humble et accessible.

«Comme Michael Jordan au basketball, Wayne Gretzky transcende son sport», explique Henry Schafer, vice-président de Q Scores, une firme spécialisée en analyse de notoriété, et qui conseille de grandes agences de publicité. «Ces grands athlètes deviennent des icônes. Notre plus récente enquête, effectuée en septembre dernier, démontre que 60% des Américains connaissent Gretzky. Aucun joueur actuel ne s'approche de ce seuil. Sa cote d'appréciation est de cinq points au-dessus de la moyenne, ce qui constitue aussi un excellent résultat.»

La vie de Gretzky a été marquée d'une seule véritable controverse, lorsque le nom de son épouse a été mêlé à un réseau de paris en 2006. «Il a très bien géré l'affaire, note M. Schafer. Dans une situation semblable, la clé est de réagir rapidement et avec transparence. C'est ce qu'il a fait.»

Après un séjour éprouvant comme actionnaire et entraîneur des Coyotes de Phoenix, Gretzky est revenu à l'avant-scène de l'actualité lors des Jeux olympiques de Vancouver. Il a joué un rôle important durant la cérémonie d'ouverture et a ensuite encouragé les athlètes canadiens à de nombreuses compétitions.

Cette présence marquée lui a permis de mettre derrière lui les souvenirs malheureux de son séjour à Phoenix. Il est aujourd'hui porte-parole de nombreuses entreprises. La société EA Sports fait notamment appel à lui pour mousser les ventes de son jeu vidéo de hockey.

Mais tout ceci nous éloigne de l'essentiel. Durant toute sa carrière, avec ses jeux magiques, Wayne Greztky a apporté du bonheur à des milliers d'amateurs de hockey.

Merci pour tous ces jeux magiques, M. Gretzky.

Et, surtout, joyeux 50e anniversaire de naissance!