« Partout dans le monde, des gens tueront parce que leur amour est rejeté. Les gens vivent pour l’amour. Ils tuent par amour. Ils meurent par amour. […] Je crois que c’est aujourd’hui le processus cérébral le plus puissant au monde, générant à la fois une joie et une détresse immenses. » — Helen Fisher, anthropologue

Ugo Fredette, coupable de meurtre prémédité, deux fois.

Yesss.

On se désensibilise à force de « subir » des faits divers.

Un « poignardage » ici, une fusillade là, un pédophile là-bas : l’actualité accouche de tragédies chaque semaine.

On se désensibilise, parce qu’on ne peut pas être touchés au cœur par chaque drame, on ne peut pas être touchés également par chaque procès aux détails épouvantables. Sinon, on passerait nos journées roulés en boule à faire grimper l’action en Bourse de Kleenex.

Mais des fois, un fait divers colle dans le fond de la marmite de l’actualité. Ça reste collé dans le fond de ton cortex, tu peux pas t’en débarrasser, t’as beau frotter, il te reste en tête.

Pour moi, dernièrement, c’était Fredette.

Alors ce coup-ci, en voyant l’alerte de La Presse sur mon téléphone – Ugo Fredette est déclaré coupable… –, j’ai échappé un Yesss.

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La saga d’Ugo Fredette a commencé avec une cavale ultra médiatisée, celle d’un homme qui produisait des documentaires sur des histoires de meurtres et de disparitions : la mise en abyme donnait le vertige.

Fredette était en fuite avec un enfant et tout le Québec a retenu son souffle, tout le Québec a espéré qu’il ne tuerait pas l’enfant, aussi…

Il ne l’a pas fait. Mais quand les policiers l’ont arrêté, il a utilisé l’enfant comme bouclier humain…

Et hier, au terme d’un procès glaçant de détails, le jury a tranché : Ugo Fredette a tué de façon préméditée sa blonde Véronique Barbe et un passant qu’il ne connaissait pas, Yvon Lacasse.

Hier, le jury a tranché : la défense de Fredette était une courtepointe d’absurdités ridicules.

Le meurtre de Véronique Barbe ?

C’est elle qui m’a attaqué avec le couteau, voyez-vous, après j’ai eu un black-out, les fils se sont touchés…

Le père de Fredette est venu faire le procès de la victime. Il faut comprendre mon fils, est venu dire Michel Fredette. Sa blonde était une vraie chipie, elle le picossait à répétition, et lui, mon fils, mon pauvre fils, il ne disait jamais rien, il encaissait…

Et le meurtre d’Yvon Lacasse ?

Eh bien, Votre Honneur, pendant que je fuyais la police, je suis allé faire mes besoins dans le boisé de la halte routière, et quand je suis revenu vers mon auto recherchée par tous les corps de police du Canada, ce type était en train de kidnapper l’enfant que j’avais moi-même kidnappé après le meurtre dont il a tout vu, et encore là, les fils se sont touchés, j’ai voulu sauver l’enfant, comprenez-vous, on s’est battus, le gars est mort, j’ai pris son char…

Je lisais les comptes rendus de la défense de Fredette, et si le sujet n’avait pas été si tragique, ça aurait presque été drôle, du matériel de comédie noire : à chaque pas, le gars est obligé de tuer quelqu’un, il fait ça à son corps défendant, le hasard met toujours sur son chemin des gens qui veulent le tuer…

Mais le jury n’a pas avalé les couleuvres qui parsemaient la défense du tueur. Il s’est fié à la preuve en béton armé présentée par la Couronne…

Le torrent de textos menaçants envoyés par Fredette dans les jours qui ont précédé le meurtre.

Le témoignage du thérapeute du couple, qui a dépeint une femme terrorisée par le comportement violent et possessif d’un homme incapable d’accepter la rupture.

Les dires de deux voisins, témoins indirects du meurtre en temps réel.

La preuve était béton. Suffit de la tâter, cette preuve, pour se poser la question de base : pourquoi Fredette n’a-t-il pas plaidé coupable ?

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Ce fait divers là, fait tragique, m’est resté collé au fond du cortex, disais-je.

Pourquoi ?

Peut-être parce que j’ai connu trop de filles qui ont vécu des relations toxiques, qui ont été terrorisées par des chums, par des ex incapables d’accepter la fin d’une relation.

J’ai surtout recueilli les confidences des années plus tard, quand la poussière était retombée. Je n’en ai à peu près jamais été témoin en temps réel. Je parle de femmes intelligentes, épanouies, des femmes de tête.

C’est fou, les préjugés qu’on peut avoir face aux relations toxiques, face aux femmes sous l’emprise d’hommes violents : non, ce ne sont pas forcément des femmes sans défense qui « acceptent » ces comportements inacceptables…

C’est une dynamique qui carbure à la peur, à la manipulation, à la dépendance affective et parfois financière, oui, tout ça est vrai. Mais ça carbure aussi à l’amour. À la base, il y a de l’amour. C’est terrible à dire, mais il y a de l’amour à la base. Ça peut être le souvenir d’un amour qui est rendu à la fin de sa vie utile, ça peut évidemment être un amour terriblement imparfait, mais on n’en sort pas : ce qui fait « accepter » l’inacceptable, c’est aussi l’amour…

En début de chronique, je cite une célèbre conférence TED (11 millions de vues) de l’anthropologue Helen Fisher, qui a fait de l’amour son sujet de recherche. Permettez que je cite ce qui précédait cette citation : « Je pense que l’amour est plus fort que la dynamique de l’envie sexuelle. Si vous proposez à une personne de coucher avec vous et qu’elle répond “non merci”, vous n’allez pas vous suicider ou sombrer dans la dépression. Mais partout dans le monde, des gens tueront parce que leur amour est rejeté. »

Voilà, c’est ça…

Le meurtre de Véronique Barbe m’a hanté parce qu’il part du plus banal, du plus universel et du plus puissant des sentiments humains, celui qui fait rouler notre moteur à tous, d’une façon ou d’une autre, correctement la plupart du temps, parfois pas du tout, tragiquement : l’amour.