Ça se passait hier matin, dans une petite salle de conférence un tantinet déprimante de la base militaire de Saint-Hubert. À l’avant de la salle, au lutrin, une jeune femme lisait des noms à voix haute, des noms écrits en lettres majuscules dans un gros cartable rouge.

John William Collister

John William Collyer

Eric Leonard Colp

Ian Lorne Colquhoun

La jeune femme s’appelle Romane Vallée, elle a 22 ans. Elle est originaire du village de Vire, en Normandie. Elle fait partie d’une organisation établie à Caen dont la mission est simple : perpétuer le souvenir des soldats canadiens qui ont contribué à libérer la France de la domination nazie, en 1944.

Ces noms que Romane lisait ? Ce sont les noms de soldats canadiens morts pendant la Seconde Guerre mondiale. Et hier, avec 30 camarades normands de 13 à 22 ans, dans cette petite pièce de la base de Saint-Hubert, Romane Vallée a lu les noms de 17 000 soldats de l’Aviation royale canadienne morts pendant la Seconde Guerre mondiale.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Hier, avec 30 camarades normands de 13 à 22 ans, dans une petite pièce de la base de Saint-Hubert, Romane Vallée (à droite) a lu les noms de 17 000 soldats de l’Aviation royale canadienne morts pendant la Seconde Guerre mondiale.

Oui, je répète : ces 17 000 noms ont été lus hier, à la base de Saint-Hubert. Il faut environ 11 heures pour les lire tous.

Je ne vous ai pas dit le nom de l’association créée par le professeur de lycée Christophe Collet : il s’agit de l’Association Westlake Brothers Souvenir, ce qui est à première vue un curieux nom pour un groupe établi à Caen, chef-lieu du Calvados…

Qui étaient les Westlake Brothers, les frères Westlake ? Il s’agissait de George, Albert et Tommy, trois frères de Toronto morts dans les premiers jours de leur débarquement sur Juno Beach. Leur mère aurait reçu le même jour trois télégrammes lui annonçant la mort de ses trois fils.

Simon Pierre Cormier

Joseph Léandre Gilles Côté

Joseph Thomas Corriveau

Le meneur de l’Association Westlake Brothers Souvenir, Christophe Collet, est ce monsieur au fond de la salle, cheveux poivre et sel, chemise multicolore.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Romane Vallée, le professeur Christophe Collet et Charlotte Girard, de  l’Association Westlake Brothers Souvenir

« C’est le quatrième voyage de l’association au Canada depuis 2006, me dit-il. Nous rencontrons des vétérans de la Deuxième Guerre, ce sont des rencontres profondément émouvantes pour les jeunes, ce sont tous des jeunes de Normandie, et les marques du débarquement sont très présentes, en Normandie… »

Charlotte Girard, 21 ans, vice-présidente de Westlake Brothers Souvenir : « Ces rencontres nous permettent d’échanger avec les vétérans canadiens. Ainsi, on peut devenir de véritables passeurs de mémoire. Vous savez, les Canadiens qui ont débarqué étaient des volontaires, ce fait est très important en Normandie… »

M. Collet souligne que 122 villes et villages de Normandie ont été libérés par les soldats canadiens, après le débarquement. La reconnaissance des Normands trouve écho partout en Normandie : « Il y a beaucoup de “rue du Canada”, de rues portant le nom de régiments canadiens, comme “rue du Régiment de la Chaudière”. Et à Colomby-Aguerny, le square porte le nom de “capitaine Michel-Gauvin”… »

Hugh Clements

Andrew McNeill Cleland

George Hamilton Cockburn

Christophe Collet regarde les jeunes agglutinés au lutrin et me les montre du doigt, pensif, au son des noms de soldats qui flottent dans l’air, sans relâche : « Ces gamins, ils ont souvent l’âge des soldats canadiens qui sont venus libérer la France… »

La troupe de M. Collet est arrivée au Canada le vendredi 12 juillet. Ils ont fait des escales à London, à Sarnia, à Toronto, à Niagara Falls, à Cornwall, à Ottawa et, ces jours-ci, dans la région de Montréal. Ils rencontrent des vétérans, participent à des cérémonies commémoratives, lisent ces noms, un à un.

Aujourd’hui, au Manège militaire du Régiment de Maisonneuve à Montréal, rue Cathcart, les Normands vont lire les noms d’autres soldats canadiens tués pendant la Seconde Guerre mondiale. Prochainement : Shawinigan, Lévis et Montmagny. Ils retournent en France le 6 août.

Jean-Louis de Gonzague Courteau

Joseph Jean Maurice Marcel Couture

John Henry Cowan

Joseph Arthur Leo Couture

Un costaud bonhomme en treillis militaire s’approche de Christophe Collet, qui le regarde avec chaleur et lance : « Mon ami, M. Dutil ! », en parlant de l’adjudant-maître de l’Escadron 438 François Dutil, trop content d’accueillir encore une fois les jeunes de l’Association Westlake Brothers Souvenir.

« Ce qui me frappe, me glisse François Dutil, c’est que ces jeunes-là, ils amassent de l’argent pour venir ici, pour dire merci à de purs inconnus. J’ai vu des rencontres entre les vétérans de la Deuxième Guerre et ces jeunes-là. Je n’ai pas de mots pour vous dire le sourire fier de ces vétérans, de leur poitrine gonflée. Ces vétérans en étaient à leurs dernières années. Rencontrer ces jeunes Français, c’était constater que leurs sacrifices avaient été justifiés… »

Au lutrin, une voix d’homme sans accent français-de-France commence la lecture des noms de soldats. C’est le soldat Coulombe, rattaché au 438e Escadron de la base de Saint-Hubert…

William Dennis Crimmins

Peter William Hedley Crickmay

Ian Bruce Croll

J’accroche Romane Vallée pendant qu’elle discute avec des camarades. C’est son deuxième voyage au Canada, elle est venue en 2015. « Plusieurs sentiments m’animent, quand je lis tous ces noms de soldats canadiens. La tristesse, d’abord : en les lisant un à un, on mesure le nombre de soldats morts pour notre liberté. Et il y a la fierté, la fierté de leur rendre hommage… »

Le plus beau souvenir de Romane Vallée, dans ce voyage ? À Beauharnois, le groupe a rencontré un pimpant vétéran de 97 ans, monsieur Doiron : « Il a dansé avec chacun de nous ! C’était un magnifique moment… »

Selon les lieux où ils arrêtent, les Normands lisent les noms de soldats de l’aviation, de la marine ou de l’armée de terre. Au total, 47 000 noms de soldats canadiens morts au combat pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les Normands qui forment l’Association Westlake Brothers Souvenir ont déjà lu ces 47 000 noms, en juin dernier, à l’occasion du 75e anniversaire du Débarquement de Normandie. Les cartables contenant les 47 000 noms pèsent 12 kg.

Combien de temps faut-il pour lire 47 000 noms ?

Réponse : 32 heures.

Mais il ne vous faudra que quelques secondes pour lire les noms de ces 31 jeunes Français menés par le professeur Collet, qui honorent ces jours-ci la mémoire de ces 47 000 soldats canadiens morts dans la lutte contre la tyrannie fasciste…

Sylvaine Maache, Charlotte Girard, Marine Rabelle, Romane Vallée, Wilfrid Marchand, Marie Chatel, Marine Fontaine, Solène Lecrivain, Ingy Khalil, Solveig Casado, Ambre Cambyse, Enola Cambyse, Anna Mainhagu, Léa Barcelon, Maéva Roussel, Inès Girard, Romane Lecrivain, Jeanne Hautot, Maeli Girot, Marius Lhermitte, Caroline Lebossé, Cassandra Marchand, Lucas Smorgrav, Léa Rouxelin, Magalie Touzo, Samuel Jouault, Manon Fouesneau, Clément Hulley, Philippe Bosquain, Enzo Coulomb et Pauline Rabelle.