« Monsieur Cadotte, levez-vous… »

Ça faisait une heure que la juge Hélène Di Salvo parlait quand Michel Cadotte a reçu l’ordre de se lever. C’est la coutume quand l’heure de la sentence est arrivée.

Une heure pour résumer un procès devenu un enjeu de société : Michel Cadotte a tué l’amour de sa vie, Jocelyne Lizotte, qui était au stade le plus avancé de la maladie d’Alzheimer.

La juge a parlé d’un crime aux « circonstances particulières et inhabituelles » pour décrire l’homicide de Mme Lizotte.

Elle a patiemment résumé les faits, les arguments, les témoignages et le contexte qui ont été présentés en preuve lors du procès de Michel Cadotte, qui s’est soldé par un verdict d’homicide involontaire du jury.

Je ne suis pas expert de ces choses-là, mais cette juge-là semblait avoir pesé chaque mot, chaque image, chaque adjectif des 27 pages de la détermination de la peine qu’elle était en train de lire.

Il y a quelques semaines, la juge Di Salvo avait pris la peine de déclarer, lors des observations sur la peine, que sa décision n’allait pas faire l’unanimité.

Hier, l’heure de sa décision avait sonné.

Dans le box des accusés, Michel Cadotte, chemise blanche et veste grise, s’est levé.

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Dans l’imaginaire collectif, Michel Cadotte a commis un meurtre « par compassion ». Dans les manchettes des médias, même chose, l’expression a été utilisée dans les heures qui ont suivi l’annonce de l’arrestation de Michel Cadotte au CHSLD Émilie-Gamelin, où il tué Jocelyne Lizotte en l’étouffant avec un oreiller.

Pour la justice, un « meurtre par compassion », ça n’existe pas.

Pour la justice, vous êtes coupable de meurtre ou pas. Il y a des teintes de gris dans l’équation, évidemment, selon les circonstances. Ici, le gris était partout, notamment dans cette décision du jury : homicide involontaire, a-t-il tranché.

Pour la justice, il était impossible de blanchir Michel Cadotte. Il avait confessé le meurtre tout de suite. D’abord, à l’infirmière qui était arrivée dans la chambre et, ensuite, aux policiers.

Il restait le contexte, celui d’un homme qui s’était rendu malade à s’occuper de « l’amour de sa vie » pendant une décennie, comme l’a rappelé la juge hier. Le contexte est essentiel pour déterminer la peine.

Hors du palais de justice, des milliers de Québécois se sont mis dans la peau de Michel Cadotte parce qu’ils comprenaient dans leurs tripes ce qu’il a vécu, parce qu’ils ont dû s’occuper d’un être aimé miné par une maladie qui tue à petit feu.

C’est pour ça que le procès de Michel Cadotte fut plus qu’un procès, parce que le contexte de son geste pose plein de questions qui dépassent le palais de justice de Montréal.

Les proches aidants sont-ils suffisamment soutenus par la société ?

Comment éviter qu’ils ne s’épuisent, physiquement et psychologiquement, à aider un être aimé ?

L’aide médicale à mourir devrait-elle être élargie aux gens qui, comme Jocelyne Lizotte, sont atteints d’une maladie neurologique irréversible ?

Si la réponse est oui, comment ? Selon quels critères ?

Si la réponse est non, pourquoi ?

La juge Di Salvo a rappelé que le tribunal n’était pas l’endroit où ces questions de société allaient se régler, malgré ce qu’on peut en penser. C’est au « législateur », aux élus qui font les lois dans les parlements de régler ces enjeux complexes : « En tant que citoyens, on ne peut qu’espérer que les cris d’alarme concernant les difficultés des aidants naturels ainsi que la problématique du nombre grandissant de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer auront été entendus… »

Cela dit, a-t-elle ajouté, le rôle du tribunal est d’imposer une peine juste à l’égard de Michel Cadotte.

Or, malgré toutes les circonstances atténuantes qui militaient en faveur de M. Cadotte — son dévouement hors norme pour Mme Lizotte, l’épuisement qui a teinté son jugement le jour du crime —, son geste se rapprochait plus du meurtre que de l’accident, a rappelé la juge.

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Dans la salle, des proches de M. Cadotte et de Mme Lizotte se tenaient la main.

Pour eux, la journée d’hier était à la fois la fin, le début et la continuation d’un long calvaire. Leur deuil et leur tristesse, ils ont dû les vivre au cœur d’un ouragan public et médiatique qui les traumatise encore. Ils ont dû subir le tribunal des réseaux sociaux, où ils ont été lapidés par des gens qui les ont jugés sans les connaître.

Dans la famille, certains ont pris le parti de Michel Cadotte. D’autres lui en veulent, ou lui en ont voulu. Plusieurs sont incertains, tenaillés par une palette d’émotions qui oscille, selon les jours, de la compassion à la colère, en passant par l’incompréhension.

Chose certaine, cette famille a souffert, et souffre encore. Elle sort déchirée de cette saga.

Lisez la chronique « La famille oubliée » publiée le 7 avril dernier.

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Michel Cadotte s’est donc levé.

La juge Di Salvo venait de dire que les « fourchettes de peine » qui lui avaient été présentées par la Couronne et par la défense ne lui étaient pas d’une grande aide pour déterminer la peine à imposer parce qu’aucune cause connue au Canada ne se rapprochait de celle de Michel Cadotte.

Oui, d’autres personnes ont plaidé le meurtre « par compassion » après avoir tué un proche malade. Mais aucun cas ne se rapproche de la complexité de l’affaire Cadotte, vu le contexte.

La défense réclamait de 6 à 12 mois de prison, moins les 205 jours de détention préventive. La Couronne réclamait 8 ans.

Michel Cadotte, debout, a reçu sa sentence : 2 ans moins un jour.

Deux ans et plus, il aurait dû purger sa peine dans un pénitencier fédéral, réputé plus dur qu’une prison provinciale.

Avant de se lever pour partir, la juge Hélène Di Salvo est sortie des 27 pages de son texte pour s’adresser directement à la famille de Jocelyne Lizotte : « C’est la décision la plus difficile que j’ai eu à rendre. Je vous souhaite de vivre votre deuil tranquillement, dans l’intimité. »

Puis, la juge a regardé Michel Cadotte : « Bonne chance pour la suite des choses, M. Cadotte. »

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Deux ans moins un jour, est-ce une sanction juste ?

Qu’est-ce qui l’est, juste, dans les circonstances, quand on sait les nuances, quand on sait la douleur qui traverse cette affaire ?

Je ne sais pas.

Je sais juste ceci, en relisant les 27 pages de la décision qui envoie Michel Cadotte en prison, 27 pages de nuances et de retenue, qui prennent en compte la souffrance des proches et celle du coupable : la justice ne reconnaît pas le meurtre par compassion, mais n’est pas dénuée d’humanité.