L’automne dernier, j’ai écrit sur deux personnes qui se sont suicidées après avoir demandé de l’aide, deux personnes qui avaient cogné à la porte du système. J’ai publié leurs photos, leurs histoires, les témoignages de leurs proches anéantis.

Il s’appelait Jean-François, il avait 44 ans.

Elle s’appelait Lili, elle avait 13 ans.

Ces chroniques avaient été accueillies avec effroi. Je me souviens de vos courriels où vous disiez votre colère. Je n’ai pas oublié les messages où vous me racontiez « moi aussi ». Moi aussi, mon frère, ma fille, mon fils, ma sœur, mon chum avait demandé de l’aide, n’en a pas eu, ou en tout cas pas assez, et a fini par passer à l’acte…

Ces chroniques ont fait ce qu’elles font toujours : elles ont frappé l’imaginaire et suscité quelques émois dans la classe politique…

Puis, on a oublié.

Parlons de Camille, qui ne s’est pas suicidée, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé.

***

C’est la mère de Camille, Dominique G., qui m’a contacté, un soir de langue à terre. C’était la troisième fois que Camille tentait de mettre fin à ses jours en trois mois.

Camille a 12 ans*.

Une petite douée, comme Lili dont je vous parlais l’automne dernier, un mal de vivre à la hauteur de son intelligence.

Lili, dont l’histoire a chamboulé Dominique quand elle l’a lue dans La Presse, parce que l’histoire de Lili c’est un peu celle de sa Camille…

Et je souligne que Camille et Lili sont de la même région : les Laurentides. C’est le CISSS des Laurentides qui y gère les soins de santé et les services sociaux.

Bref, après la troisième tentative de suicide de Camille, la pédopsychiatre des urgences de Sainte-Agathe a recommandé une hospitalisation. Les deux fois précédentes, le personnel médical n’avait pas vu matière à l’hospitaliser.

Dominique était soulagée qu’on décide d’hospitaliser Camille. Elle sentait qu’il fallait stabiliser sa fille, voir ce qui cloche, prendre le temps de l’écouter, aller au-delà des soins de travailleuses sociales, explorer les options de traitement, entreprendre une thérapie…

La soigner, quoi.

Mais, petit hic : ce n’est pas parce que votre pédopsychiatre recommande une hospitalisation qu’il y a nécessairement de la place pour vous hospitaliser !

« Une fois la recommandation faite, m’explique Dominique, c’est à l’hôpital de faire les démarches pour trouver une place. Mais ça affichait complet partout. Pas de place. Rivière-des-Prairies, Sainte-Justine, Joliette, pas de place ; Douglas, pas de réponse… »

C’était il y a trois semaines.

Devinez où l’hôpital de Saint-Jérôme, qui a pris Camille en charge, l’a donc fait atterrir, « en attendant » ?

Au centre jeunesse !

Dans l’unité sécurisée. Une petite prison, quoi.

Que Camille soit en centre jeunesse, c’est une chose. Mais on avait promis à Dominique qu’en centre jeunesse, sa fille aurait accès à des soins, on a évoqué de la thérapie…

C’était faux.

La seule « aide » à laquelle Camille a droit, c’est un atelier hebdomadaire de… gestion de la colère.

Ça fait donc trois semaines qu’une pédopsychiatre a jugé que Camille avait besoin d’être hospitalisée pour qu’on puisse la soigner.

Ça fait trois semaines que Camille se tourne les pouces au centre jeunesse, sans se faire soigner.

***

Je ne suis pas con, en tout cas pas à temps plein, je sais bien que les maux de l’âme sont parfois difficiles à soigner. Je sais qu’une dépression, un trouble bipolaire, un trouble envahissant de l’anxiété ou une schizophrénie ne se soignent pas aussi facilement qu’une déchirure du ligament croisé antérieur du genou gauche.

Mais le cas de Camille illustre ce que je vous dis depuis quelques années : l’accès aux soins est compliqué, souvent super compliqué. Le beau slogan « Demande de l’aide si ça va pas ! » n’est souvent que ça, un beau slogan.

Peut-être même qu’en aidant tous ceux qui veulent de l’aide, on va en échapper. C’est peut-être dans la nature de ces maux de l’âme.

Mais comme société, on a moins une obligation de résultat qu’une obligation de moyens. On a l’obligation d’essayer d’aider ces gens-là.

***

J’ai demandé des explications au CISSS des Laurentides en incluant dans ma demande les coordonnées de la mère de Camille, pour que le CISSS puisse lui demander l’autorisation de me parler du cas de sa fille.

J’ai fini par recevoir une réponse sept jours plus tard. Une réponse riche en jargon bureaucratique comme « corridor de service » et « ressource appropriée », sans oublier la « collaboration de nos partenaires des régions à proximité »…

Mais pas un mot sur le cas de Camille.

Pourquoi ?

Parce que « comme nous n’avons pas l’autorisation de Mme G., nous ne pouvons commenter le cas précis auquel vous faites référence… ».

J’appelle la mère : 

« Ils vous ont contactée pour vous demander la permission de me parler du cas de votre fille ? J’avais mis votre numéro de téléphone dans ma demande…

— Non ! »

Bref, le CISSS des Laurentides a mis une semaine avant de m’envoyer une réponse qui ne répond à rien sur le cas de Camille, en prétextant une absence d’autorisation que le CISSS des Laurentides n’a même pas cherché à obtenir auprès de la mère. Y a des ronds-de-cuir, pis y a des ronds-de-cuir qui marinent dans la mauvaise foi.

Mais sachez ceci : il y a 100 000 jeunes de moins de 19 ans dans le territoire du CISSS des Laurentides et il y a exactement zéro lit d’hospitalisation en pédopsychiatrie.

Zéro !

Mais tout n’est pas perdu, car comme me l’a dit le service des communications du CISSS des Laurentides dans cette réponse qui a mis sept jours à se matérialiser, le ministère de la Santé et des Services sociaux a récemment autorisé « le développement de dix lits qui devraient être livrés début 2021 » en pédopsychiatrie.

Oui, en 2021…

J’espère que d’ici 2021, je n’aurai pas à vous écrire que Camille s’est tuée.

* Ce n’est pas son vrai nom, évidemment, et si le CISSS m’avait parlé de son cas, évidemment que son vrai nom n’aurait pas été publié ici.

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien ou avez des idées suicidaires, vous pouvez communiquer en tout temps avec Suicide Action Montréal : 514 723-4000 ou 1 866 APPELLE (1 866 277-3553).