Il y a un an, Christian Tétreault s’est fait arrêter à 200 mètres de chez lui.

Il était saoul.

Il était au volant de son char.

Deux voitures de police. Dans chacune des voitures, un policier, une policière. Polis et courtois.

Mais la machine ne mentait pas : 170 mg d’alcool par 100 ml de sang. Ce qui est un poil au-dessus du double de la limite légale. Saoul raide.

Christian n’a pas contesté.

Il savait que la machine disait vrai.

La machine, qui n’affichait que des chiffres… mais qui aurait aussi bien pu afficher des lettres, elle aurait aussi bien pu déclarer ce que Christian s’était toujours refusé à concevoir : TU ES UN ALCOOLIQUE.

Je l’appelle « Christian », comme si je le connaissais. L’affaire, c’est que je connais Christian Tétreault sans le connaître vraiment.

Vous aussi, probablement. Il est là, dans le paysage médiatique depuis des années, en filigrane ou à l’avant-plan. On l’a longtemps entendu à la radio (CKMF), vu à la télé (Ad Lib).

Aujourd’hui, c’est surtout avec sa plume qu’il gagne sa vie. Il écrit des livres. Il écrit pour des émissions de télé, des galas. Christian Tétreault est un homme à tout faire du showbiz.

Je le connais donc sans le connaître. Ado, il était dans ma radio, dans ma télé. Adulte, il débarque ponctuellement dans ma boîte de courriels depuis des années. Il me tient au courant de sa vie, il commente mes chroniques, il commente l’actualité.

On se parle au téléphone, peut-être une fois par année. Un jour, il m’a dit qu’il voulait me parler, on a pris rendez-vous, je l’ai appelé, je savais pas de quoi il voulait me jaser…

Tu m’inquiètes, m’avait-il dit, tout simplement. T’es partout, as-tu le temps de décompresser ?

Christian écrit, donc. Son livre le plus célèbre ? Fort probablement Je m’appelle Marie, publié en 2007, le récit de son deuil, le pire des deuils : la mort de sa fille Marie en 1985, à l’âge de 2 ans, 3 mois et 14 jours, une mort brutale, imprévisible. Comme le dit Christian : Marie a été assassinée par une bactérie.

Marie est morte dans ses bras.

Il a tout raconté dans son livre, comme je vous dis. C’est un événement qui le hante, c’est compréhensible : c’est le pire des deuils. La mort de Marie a traversé sa vie et ses livres, il sort par exemple ces jours-ci un livre sur les récits de parents qui ont vécu la même chose que lui – Nos enfants sont immortels –, il fait des conférences là-dessus… et sur toutes autres choses connexes de la vie.

Mais quand Marie est morte, Christian est mort un peu, lui aussi. Il a pensé mourir, il a pensé en finir. Des idées bien précises.

Depuis, il a pu raconter comment la mort de Marie l’a quand même fait renaître, lui a donné une nouvelle perspective sur la vie, comment ce deuil l’a fait… avancer ?

Il a réappris à aimer, à sourire, à avoir des projets, à espérer.

La mort de Marie lui a ouvert les yeux, ou quelque chose comme une fenêtre sur les autres. Il est devenu une meilleure personne… pour les autres.

Il a une formule très jolie pour décrire sa transformation, sur plusieurs années : « Plus d’écoute, plus de gentillesse, plus de pardon et moins de ces cancers de l’âme et de l’esprit que sont la rancune, le ressentiment, le mensonge ou la jalousie. »

Mais lui, ou plutôt en lui, c’était autre chose. Le trou noir laissé par la mort de Marie ne se résorbait pas. En 1985, Christian Tétreault a commencé à boire, à trop boire. Il pensait que c’était une façon d’éviter de se tuer. C’était peut-être une façon de se tuer à petit feu.

Histoire classique, spirale de mort universelle, au ralenti : la douleur qu’il faut geler. Son poison à lui, c’était la vodka. J’imagine que Christian se racontait des fictions à propos de sa consommation, je ne sais pas. Mais il savait que l’alcool était une fuite : chaque fois qu’il débouchait sa bouteille, dans son bureau, là où il écrit, il ne buvait jamais en faisant face aux photos de Marie.

Il lui tournait le dos, en quelque sorte.

« Je ne voulais pas qu’elle me voie. »

Il a donc bu pendant 33 ans, alcoolique fonctionnel, tenant bien sa bouésson comme on dit, enfin, c’est ce qu’il croyait…

Jusqu’au 26 avril 2018.

Jusqu’à l’arrestation, dans son quartier, jusqu’à 170 mg par 100 ml de sang. Il aurait pu tuer quelqu’un. Il le sait.

Christian Tétreault est entré en cure fermée au Pavillon Pierre-Péladeau, 21 jours et 21 nuits. N’a jamais recommencé à boire. Un jour, une tranche de 24 heures à la fois.

Vendredi dernier, cela fut donc son 366e 24 heures de sobriété. Un an sans alcool. Avec l’aide de sa famille, de ses amis, André, Martin et les autres.

Lundi de Pâques, quelques jours auparavant, dans un sous-sol d’église à Montréal, Christian a reçu son jeton des Alcooliques Anonymes marquant son année de sobriété.

Ses trois gars qu’il adore étaient là, Félix le jumeau de Marie, Francis et Simon. France, son amoureuse depuis 1970.

Présente aussi, une femme qui n’est pas de la tribu de Christian : Mélanie Leduc, de la police de Mirabel.

L’agente Leduc était du duo de policiers qui a arrêté Christian, le 26 avril 2018. Elle était là, dans le sous-sol de l’église, avec sa fille et avec sa mère.

Toute est dans toute, comme on dit.

Pourquoi tu m’as raconté tout ça, Christian ?

Parce que même à 65 ans, on peut renaître.

Parce que je suis heureux depuis un an, dit-il.

Parce que je veux dire aux autres malades qui refusent de l’admettre qu’ils le sont. Comme moi. Mais qu’ils peuvent guérir. Quand on boit, on se ment.