Tout le monde aime le «bon Dr Julien», le pédiatre Gilles Julien, moteur de cette «pédiatrie sociale» qui oeuvre dans les quartiers défavorisés. Mais on sort ébranlé de la lecture de l'enquête de La Presse sur le climat toxique qui a régné au sein de la fondation qui porte son nom.

Après une enquête de plusieurs semaines, la journaliste Isabelle Hachey a mis en lumière des dysfonctions dans l'organisation fondée par Gilles Julien, des dysfonctions qui relèvent du harcèlement psychologique.

La crise a éclaté en avril 2018 à la faveur d'une lettre anonyme envoyée au conseil d'administration de la Fondation du Dr Julien. Des employés se disaient victimes d'intimidation de la part de la directrice générale, Hélène Sioui Trudel, conjointe de Gilles Julien.

Le conseil d'administration semble avoir fait son travail de conseil d'administration : il a convoqué Gilles Julien et Hélène Sioui Trudel pour qu'ils s'expliquent. Ils ont nié et Mme Sioui Trudel a démissionné sur-le-champ (elle est désormais conseillère stratégique).

Mais la crise a perduré, notamment parce que le Dr Julien s'est mis à «bouder» les employés, selon les témoignages recueillis par la journaliste Isabelle Hachey :  «On lui disait bonjour, il ne nous répondait pas», a témoigné une ancienne employée.

Peu après sa démission comme DG, Hélène Sioui Trudel a mis son chapeau de conseillère stratégique et a proposé au conseil d'administration un plan de redressement de la Fondation. Le plan a été adopté en juin 2018... Mais dans les semaines qui ont suivi, cinq des dix membres du C.A. ont démissionné.

En septembre, quatre gestionnaires de la Fondation sont partis en congé de maladie. Ils ne sont jamais revenus, pas plus qu'une autre gestionnaire, la directrice des finances, qui a démissionné un peu plus tôt.

Tout cela est au minimum le symptôme d'un climat de travail malsain, au pire d'un climat de travail toxique. Les ex-employés qui ont parlé à Isabelle Hachey ont utilisé le mot toxique. Ils se disent traumatisés, lessivés par l'expérience de travailler avec le Dr Julien et sa conjointe, Mme Sioui Trudel.

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Je ne connais pas le Dr Julien. Je l'ai croisé à quelques reprises dans des cadres de porte de studios de radio et de télévision. Sa réputation le précède, force le respect : voici un homme qui a consacré sa vie à sauver des enfants de situations difficiles. J'ai jadis donné à une de ses bonnes oeuvres, comme bien du monde.

Je ne connais pas le Dr Julien, mais j'ai trouvé la défense qu'il a présentée à La Presse consternante. Dix personnes ont décrit des comportements toxiques chez lui et sa femme gestionnaire. Ça commence à faire du monde.

Une personne qui raconte une histoire comme celles qui circulent sur le climat de travail à la Fondation du Dr Julien, ça peut être vrai, ça peut être faux, ça peut tomber entre les deux, ça peut être affaire de perception, ça peut être de la paranoïa, de la vengeance...

Mais 10 ex-employés qui racontent les mêmes comportements, les mêmes colères, les mêmes mesquineries? Ça commence à ressembler à une tendance.

C'est ici que la défense de Gilles Julien et d'Hélène Sioui Trudel est consternante : ils rejettent toutes les accusations en bloc, tout est faux, tout est monté en épingle, c'est un coup politique fomenté par une ex-employée...

Bref, il n'y a pas le début de l'ombre d'un semblant d'introspection chez ceux qui étaient les leaders de l'organisation au moment de la crise, zéro.

Je cite Mme Sioui Trudel, en parlant de ce supposé «putsch» organisé par une ex-gestionnaire : «Elle a orchestré ça, [un congé de maladie] à la fois. Un par semaine. C'était bien orchestré. Géniale, comme fille.»

Reste qu'au fil des années, la Fondation a eu une immense difficulté à retenir ses cadres, notamment à la direction générale, de l'aveu même du couple Julien-Trudel. On parle de portes tournantes, carrément : les DG restaient six mois, un an... Puis ils partaient.

Mais encore là, Gilles Julien et Hélène Sioui Trudel se délestent de toute responsabilité. Ces DG - qu'ils avaient embauchés - qui démissionnaient à répétition? Des gens qui ne comprenaient pas leur vision, la pédiatrie sociale, etc.

Ce déni a quelque chose de mesquin, tout comme l'effacement que le Dr Julien fait d'une pionnière de son oeuvre auprès des enfants d'Hochelaga-Maisonneuve : Claudette Everitt. Cette infirmière, qui a épaulé Gilles Julien dès 1997, a fondé avec lui le Centre de pédiatrie sociale d'Hochelaga-Maisonneuve.

La Fondation a été créée plus tard, en 2005, et Mme Sioui Trudel ne s'y est officiellement jointe qu'en 2006.

Or, Gilles Julien donne désormais le crédit de son oeuvre à... sa conjointe, Mme Sioui Trudel. Pas un mot sur Mme Everitt. Disons que dans Hochelaga-Maisonneuve, ça étonne pas mal...

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Être un bon pédiatre, ce n'est pas nécessairement être un bon gestionnaire. Être bon avec les enfants poqués, ce n'est pas nécessairement être bon avec les adultes qui travaillent pour vous, pour la même cause.

Que Gilles Julien ait présidé à des erreurs de gestion qui ont créé un climat décrit comme toxique, c'est une chose, une chose qui arrive dans plein de milieux de travail. Ça se corrige.

Mais que Gilles Julien soit dans un déni complet face à sa propre responsabilité est une autre chose, une chose autrement plus dérangeante pour tous ceux qui lui font confiance, pour tous ceux qui se gèlent les fesses à amasser des fonds lors de la Guignolée de sa fondation, pour l'État qui lui donne près de 5 millions par année.