Au bout du fil, Maxime Dupuis est encore sous le choc : «Sur Facebook, c'est le contraire de la loi au Canada. Sur Facebook, tu es coupable jusqu'à preuve du contraire. J'étais coupable dès le début...»

Je vous préviens, l'histoire de M. Dupuis va vous donner le vertige.

Ce que l'aspirant musicien de 43 ans a vécu ces derniers jours est une fable sur les dérapages qui peuvent survenir dans les médias sociaux quand l'urgence de s'indigner prend le dessus sur la réflexion.

La semaine dernière, sur Facebook, Maxime Dupuis a été publiquement et bruyamment accusé de ne pas être... Maxime Dupuis.

(Jusqu'ici, rien de trop dommageable.)

Maxime Dupuis a été publiquement et bruyamment accusé d'être un autre Maxime.

(Ici, ça devient plus inquiétant.)

Ce Maxime-là, celui qu'il n'est pas, a été publiquement dénoncé en 2017 comme ayant commis des inconduites sexuelles.

Ce Maxime-là n'a jamais été arrêté ni accusé par la police, mais il est désormais infréquentable dans le milieu où il évoluait depuis des années, celui de la mode montréalaise.

Bref, mercredi dernier, Maxime Dupuis a été publiquement et bruyamment accusé d'être en fait un autre Maxime, montré du doigt pour des accusations d'inconduite sexuelle.

Disons que sa vie a passablement changé, mercredi dernier.

(La Presse a choisi de ne pas nommer «l'autre» Maxime pour deux raisons : 1) il n'a pas été accusé au criminel et 2) nous n'avons pas enquêté sur les allégations dont il a fait l'objet.)

Mais pourquoi donc, me demandera le lecteur curieux, a-t-on pu confondre les deux Maxime?

L'explication est à la fois simple et compliquée.

Un, Maxime Dupuis partage le même prénom que l'autre Maxime.

Deux, l'autre Maxime a déjà l'habitude d'utiliser plusieurs pseudonymes sur les médias sociaux.

Trois, Maxime Dupuis a choisi une photo de profil cadrée sur son blouson en cuir, photo qui ne montre pas son visage. L'autre Maxime ne montre à peu près jamais son visage sur l'internet.

Quatre, Maxime Dupuis a choisi comme couverture Facebook - cette photo rectangulaire qui trône au sommet de nos profils - la photo d'un astronaute perdu dans le désert, devant un motel abandonné...

Or, la marque de commerce de l'autre Maxime était justement un astronaute doté du don d'ubiquité, qu'il photographiait dans toutes sortes de contextes.

***

Je répète que Maxime Dupuis est un aspirant musicien. Il veut vivre de sa musique. Maxime Dupuis a donc récemment décidé de doper son compte Facebook aux stéroïdes : il a fait des demandes d'amitié à des centaines de personnes, la plupart lui étant inconnues.

«Mon but était de me servir de Facebook pour me faire connaître. J'ai dû ajouter 1000 personnes. Je sais que c'est excessif. Mais je voulais aider ma carrière...»

Parmi les centaines de personnes à qui Maxime Dupuis a envoyé des demandes d'amitié se trouvait Brian Y., un photographe montréalais.

Un photographe... de mode.

Quand Brian Y. a vu le profil de ce Maxime Dupuis qui souhaitait être son ami virtuel, il s'est mis à scruter attentivement ledit profil.

Le prénom, «Maxime», a éveillé sa curiosité...

Et la photo de profil, cadrée pour en exclure le visage...

Et surtout - SURTOUT! -, la photo de couverture de ce Maxime Dupuis : un astronaute dans un paysage atypique. Brian Y. en était sûr : c'était une photo du Maxime en question...

Là, Brian Y. n'était plus seulement curieux : il était suspicieux. L'iconographie du profil Facebook de Maxime Dupuis recoupait parfaitement l'iconographie de l'autre Maxime, celui que lui et ses amis en mode honnissent depuis des années. Brian Y. a alors demandé à des gens autour de lui s'ils avaient reçu une demande d'amitié de ce Maxime Dupuis...

Réponse : oui, plusieurs en avaient reçu.

Brian Y. s'est senti investi d'une mission, celle de prévenir amis, amies et camarade de l'industrie : «J'ai fait une publication pour dire que Maxime était de retour...»

Maxime, comme dans l'autre Maxime, celui qui a été publiquement montré du doigt pour des inconduites sexuelles, il y a un an et demi.

Et Brian Y. a «tagué» le profil de Maxime Dupuis.

Plus de 200 personnes ont partagé le statut de Brian Y. Certains y joignant une capture d'écran du Journal de Montréal, qui avait couvert les allégations.

Ce jour-là, le mercredi 6 février, Maxime Dupuis - son vrai nom, aspirant musicien, étudiant en arpentage, 43 ans - s'est mis à recevoir des insultes et des menaces, tant en privé qu'en public. Mercredi, un tsunami a frappé la vie numérique et réelle de Maxime Dupuis.

Primo, on l'a sali en identifiant sa page aux quatre coins de la sphère facebookienne québécoise, en le «taguant», comme on dit.

Deuzio, on l'a traité privément de tous les noms, ce qui a fini par sérieusement l'ébranler, psychologiquement.

Tertio, plusieurs de ses amis ont reçu des messages privés les enjoignant à le supprimer comme ami Facebook, lui, le «violeur»...

Et plusieurs ont accepté cette demande en larguant Maxime Dupuis de leur liste d'amis, croyant avoir affaire à un type qui avait des choses à se reprocher.

«J'étais le diable, dit maintenant Maxime Dupuis. Ce gars-là, l'autre Maxime, est tellement haï dans le monde de la mode, c'est comme si j'étais Hitler.»

Maxime Dupuis ne savait plus à quel saint se vouer pour corriger le tir. Il a fait une publication sur sa page Facebook pour clamer son innocence.

Il a tenté de raisonner avec des gens qui le lapidaient avec des insultes métaphoriques qui lui infligeaient une douleur qui n'avait rien de métaphorique...

Peine perdue, ou presque : on ne voulait pas le croire.

Mais certaines personnes ont fini par lâcher leurs pierres et ont décidé de l'écouter. Parmi eux, le musicien Marc-Étienne Mongrain et la photographe Same Ravenelle. Mongrain est allé voir Maxime Dupuis en personne, et il a bien vu que Maxime Dupuis est... Maxime Dupuis. Le musicien Mongrain a fait un mea culpa, qui a commencé à être partagé, parlant même de «plus grosse erreur de sa vie».

Brian Y. a lui aussi publié un mea culpa après 48 heures, après des échanges de messages avec Maxime Dupuis.

Toujours vendredi, le rédacteur en chef de Voir, Simon Jodoin, a publié un billet interloqué sur la saga de cette erreur sur la personne. Ce billet a aussi été partagé et a entraîné d'autres mea culpa.

Mais le mal était pour ainsi dire fait : «Je croulais sous les messages de haine, dit Maxime Dupuis. Des gens avec qui j'avais des discussions sur Facebook, soudainement, ne me répondaient plus...»

Brian Y., lui, jure avoir agi par bienveillance. Il dit que le milieu de la mode montréalaise est traumatisé par l'autre Maxime, qu'il a simplement voulu prévenir ses amis et ses collègues, surtout des femmes qui font du mannequinat, que cet homme était «de retour» sur Facebook : «Ça fait 15 ans, dit-il, que j'essaie de l'empêcher de faire plus de victimes.»

Soit, mais Brian Y. n'a fait aucune vérification avant de publier son billet lapidaire en ciblant Maxime Dupuis. 

Brian Y. a fait ce que bien des gens font, de nos jours : il a appuyé sur «Envoyer» en se disant : «C'est sûr que c'est vrai, ça ne peut pas ne pas être vrai...»

Mais justement : ce n'était pas vrai.

Le Maxime Dupuis derrière cette page Facebook était bel et bien... Maxime Dupuis.

Maxime Dupuis avait choisi une photo de profil sans visage parce que c'est comme ça, parce que plein de gens choisissent de ne pas mettre leur vrai visage sur Facebook.

Et cette photo d'astronaute sur la page de Dupuis, LA pièce à conviction incriminante aux yeux de Brian Y. et de bien des gens qui ont partagé son statut indigné?

Ce n'était pas une photo de «l'autre» Maxime : c'est en fait une oeuvre de la photographe américaine Karen Jerzyk, tirée d'une série intitulée The Lonely Astronaut.

Je le sais parce que j'ai vérifié, grâce à Google Image Search.

***

Il y a un avertissement pour nous tous, dans la saga qui a sali Maxime Dupuis, ces derniers jours.

Il faut faire attention. Il faut vérifier. Nous sommes tous des pushers de faux faits potentiels. De nos jours, ces erreurs ont des conséquences.

En fouillant sur Facebook pour me faire une tête sur la saga Maxime-Maxime, j'ai vu des mea culpa sincères. Et j'en ai vu qui sonnaient aussi faux que moi quand je chante du Céline Dion dans ma douche...

J'ai lu plusieurs commentaires de cette eau un peu nauséabonde : «Les victimes d'agressions sexuelles aussi sont traumatisées et les femmes font vraiment ce qu'elles peuvent pour se protéger, elles se sont trompées et c'est plate pour lui, mais je ne dirai jamais que c'est la plus grosse erreur de ma vie d'avoir voulu faire attention...»

Bref, ben plate pour lui, mais c'était pour une bonne cause. Faque...

Ça donne quand même des sueurs froides : nous vivons dans cette époque-là. Tous à un clic de devenir juges et bourreaux, je veux dire...

On en tient un(e)! Pendons-le! Brûlons-la!

Si je publiais un tel bobard dans La Presse, sans vérifications dignes de ce nom, comme tous ces gens qui ont participé à propager le billet de Brian Y. l'ont fait, mon journal serait condamné à payer des dommages records, au terme d'une poursuite que nous perdrions assurément.

Je cite Maxime Dupuis, sur la dynamique de meute qu'il a subie, où on s'indigne d'abord et où on réfléchit ensuite : «Il s'agit, dit-il, d'une personne qui a l'air influente qui part le bal. Et tout le monde suit.»

Tout le monde suit, car tout le monde partage une certitude : si quelqu'un que je connais partage un truc, ça ne peut qu'être vrai, non?

Il doit bien avoir vérifié!

Pourquoi il dirait ça, sinon?!

Ben non. Des fois, les gens font des erreurs. Toutes sortes d'erreurs. De faits. D'appréciation. D'empressement. Ça arrive.

Je cite le réalisateur Rafaël Ouellet, qui a fait sur Facebook son mea culpa en rejetant la thèse que les gens ont voulu «bien faire» en signalant Maxime Dupuis : «La meute, c'est toujours des gens qui se protègent. On est meilleurs que ça. On est capables de trouver deux sources. De fouiller la page du gars. De tenter de recouper des sources. On se doit ça. Sinon, c'est la milice, c'est se faire justice, c'est le tribunal populaire.»

J'ai cliqué «J'aime» en me rappelant la fin du billet du journaliste Jodoin à propos de cette erreur sur la personne : «Vous êtes des estis de malades.»

Je te corrige, camarade Jodoin : pas «vous», mais «nous», nous sommes tous à un clic d'êtres des estis de malades qui lancent des roches virtuelles, qui cherchent des sorcières à brûler...

Le mot de la fin appartient à ce pauvre Maxime Dupuis, qui commence à reprendre son souffle, cinq jours après que sa vie - réelle et numérique - a été chamboulée : «Ma blonde a le goût qu'on poursuive bien du monde. Moi, pas tellement. Je suis juste triste et fatigué. »