Lundi, la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI) a réagi par communiqué à la tempête provoquée par sa décision de lancer le processus de congédiement d'une enseignante, Kathya Dufault.

Mme Dufault est cette enseignante qui a raconté les difficultés de son métier dans les médias, le 25 octobre dernier. J'ai chroniqué sur les conséquences pour elle de cette prise de parole, lundi.

Le communiqué publié après coup pour justifier le congédiement à venir est intitulé « La libre expression n'est pas un motif de congédiement à la CSSMI » et j'en cite un extrait : « Selon le chroniqueur [Patrick Lagacé], le congédiement de Mme Dufault est directement relié au fait que celle-ci a parlé de ses conditions de travail dans les médias. Cette affirmation est fausse. »

Pour affirmer que le congédiement de Mme Dufault est relié au fait que celle-ci a parlé de ses conditions de travail dans les médias, je me suis basé sur quoi, pensez-vous ?

Je me suis uniquement basé sur la lettre que la CSSMI a envoyée à Mme Dufault, le 6 décembre dernier, pour lui signifier son congédiement à venir.

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C'est une lettre de sept pages. Je la publie ici, intégralement, pour que les lecteurs puissent se faire une idée par eux-mêmes. 

Mais j'ai beau la lire et la relire, la seule chose qui est reprochée à l'enseignante et qui ne relève pas de ses entrevues est de ne pas s'être présentée immédiatement à l'enquête portant sur ces entrevues.

Page 2, on peut lire : « Aux termes [sic] de l'enquête, nous retenons plusieurs éléments d'inconduite qui sont à l'origine de la présente intention » de congédier Kathya Dufault...

Suivent ensuite cinq pages - CINQ ! - où on décortique en quatre thèmes ce qui est reproché à Kathya Dufault. Ces quatre thèmes ? Les quatre volets de sa présence médiatique du 25 octobre dernier : 

- sa lettre publiée dans La Presse ;

- ma chronique dans La Presse basée sur une entrevue avec l'enseignante ;

- une entrevue avec Paul Arcand au 98,5 FM ;

- une entrevue avec Denis Lévesque à LCN.

Page 6 de la lettre qui avise Mme Dufault de la procédure de congédiement qui s'enclenche, on peut lire : « Ainsi, notre position est basée sur les éléments suivants... »

Suivent 12 constats, extrapolations et jugements de la CSSMI réunis en autant de « considérant que... » où la CSSMI considère par exemple que : 

- « vous avez miné le lien de confiance des parents envers l'école publique » ;

- « vos propos vont à l'encontre des valeurs de la Commission scolaire » ;

- « vous avez manqué de loyauté envers votre employeur »...

Non, non et non, la Commission scolaire ne veut pas congédier Kathya Dufault parce qu'elle a utilisé sa liberté d'expression, Mesdames et Messieurs, la CSSMI veut la congédier parce que l'enseignante a « miné le lien de confiance des parents envers l'école publique » !

C'est bien sûr jouer sur les mots, pour ne pas dire autre chose.

Car si Mme Dufault avait fermé sa trappe, si elle n'avait pas témoigné à visage découvert, elle ne ferait pas face à ce congédiement. Les 12 motifs de congédiement n'existeraient pas si la tournée médiatique de Mme Dufault, le 25 octobre, n'avait pas existé.

Les lecteurs de La Presse peuvent donc lire la lettre envoyée par la CSSMI à Mme Dufault et qui détaille ce qui lui est reproché. Ils pourront juger si, comme l'affirme le communiqué de presse de gestion de crise publié hier par la CSSMI, le fond de ma chronique d'hier repose sur une « affirmation fausse ».

Je termine sur la fin du communiqué de presse de la CSSMI, où on peut lire : « Nous pouvons simplement dire que si l'ensemble des éléments de ce dossier avait été partagé publiquement, cela aurait suscité bien moins d'intérêt... »

Ici, désolé, mais je ne peux interpréter cette phrase sibylline que de la façon suivante : « Il y a autre chose, mais on ne peut pas vous dire quoi, ah, si vous saviez tout ce qu'il y a dans le dossier de cette prof... »

Je reviens donc à la lettre de sept pages envoyée par la CSSMI à Mme Dufault : il me semble qu'en sept pages, « l'ensemble du dossier » est abordé. Sinon, il est pour le moins saugrenu de ne pas aborder « l'ensemble des éléments de ce dossier » dans une lettre officielle de congédiement à venir.

S'il y avait d'autres « éléments » à faire partager, il me semble qu'on aurait pu ajouter une huitième, une neuvième ou même une dixième page à la lettre qui fait la nomenclature des reproches faits à Kathya Dufault, non ?

Et si « l'ensemble des éléments de ce dossier » transcende ses déclarations aux médias, si Kathya Dufault était une enseignante SI problématique avant sa tournée médiatique, pourquoi avoir accepté de transformer sa démission (en septembre) en congé sans solde ?

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On dirait bien que la CSSMI a fait son nid, qu'elle va aller de l'avant avec ce congédiement. En cette ère de réflexions profondes sur l'école, je me demande si la CSSMI a compris depuis à quel point elle a fait mal à l'image des commissions scolaires, à une époque où des milliers de Québécois se demandent à quoi elles servent... Dont le ministre de l'Éducation.

Pour ma part, j'espère que Mme Dufault - qui m'assure que son dossier disciplinaire pré-tempête médiatique est vierge - ne sera pas congédiée. Mais le cas échéant, la suite sera intéressante : les procédures de contestation dans les tribunaux d'arbitrage sont bien souvent publiques. On verra alors la solidité des arguments de la CSSMI.

C'est une chose de dire n'importe quoi dans un communiqué de presse.

C'en est une autre de le dire sous serment.