Il y a quelque chose de triste à voir le Bloc québécois imploser sous nos yeux, une agonie en forme de chicane de famille.

Triste, parce que le Bloc québécois a été en son temps une opposition combative, informée et utile au débat public. Une opposition officielle, même, en 1993 : 56 députés menés par son fondateur Lucien Bouchard. Pour un parti aspirant à « détruire » le Canada, cet exploit ne manquait pas d'ironie.

Mais le Bloc s'est aussi révélé comme une opposition responsable, informée et utile, qui savait éclairer les débats publics... D'un océan à l'autre.

Ça aussi, ça ne manquait pas d'ironie : voici un parti souverainiste qui excellait à montrer les travers d'Ottawa, mais pas seulement au profit du Québec. Aide à mourir, agriculture, justice, transferts fédéraux aux provinces : les dossiers défendus par les députés du Bloc touchaient souvent tous les citoyens de ce pays. Même les adversaires du Bloc, « grudgingly » comme on dit à Ottawa, ont fini par admettre que sa députation était efficace.

Depuis la débandade de 2011, quand le Nouveau Parti démocratique a (bien temporairement) remplacé le Bloc comme parti fédéral préféré des Québécois, après 18 ans de domination, le Bloc vit une sorte d'écroulement au ralenti.

Depuis 2011, le Bloc a eu quatre chefs : Daniel Paillé a succédé à Gilles Duceppe, Mario Beaulieu a pris le relais avant de passer le témoin à Gilles Duceppe pour la campagne de 2015... Puis Martine Ouellet a été couronnée chef sans opposition.

Dès son arrivée, il était clair que le courant ne passait pas entre la chef et la majorité de sa députation. Dès le printemps 2017, les heurts étaient relayés par les manchettes ; dès l'été 2017, des députés parlaient d'un lien de confiance « brisé ». Et hier, en quittant le Bloc québécois, les sept déserteurs ont cité la personnalité « intransigeante » de Martine Ouellet.

Les bruits autour de l'intransigeance de Martine Ouellet, bien souvent alimentés par les membres de sa propre famille péquiste, ont la couenne dure. Reste qu'intransigeance ou pas, il semble évident que Mme Ouellet n'a pas compris qu'être chef et avoir de l'ascendant sur ses troupes, ce sont deux choses différentes. L'entourage de Gilles Duceppe avait beau mener la barque bloquiste avec une poigne de fer, reste que M. Duceppe était le premier député élu sous les couleurs bloquistes et qu'il a « gagné » le Québec en 1997, 2000, 2004 et 2008. Mme Ouellet, elle, n'est même pas encore députée fédérale.

Au-delà de la personnalité de Mme Ouellet, les députés démissionnaires reprochent à leur ex-chef d'avoir mis en opposition deux façons de voir la présence du Bloc à Ottawa. D'un bord, la promotion de la souveraineté du Québec. De l'autre, la défense des intérêts du Québec à Ottawa, ce qui a été l'approche historique des chefs comme Lucien Bouchard, Michel Gauthier et Gilles Duceppe. Mais pour Mme Ouellet, il faut que le Bloc fasse la promotion de la souveraineté, 24/7, d'abord et avant tout.

Car Mme Ouellet incarne ce courant de pensée dans le mouvement souverainiste selon lequel la souveraineté n'arrive pas parce que les députés souverainistes n'en parlent pas tout le temps, ne font pas la démonstration de sa pertinence.

Gilles Duceppe, s'étonnant que Mme Ouellet n'ait pas encore démissionné, a pulvérisé ce point de vue : « Il ne s'agit pas seulement de réciter des litanies ou des incantations du type "Je veux un pays, je veux un pays, je veux un pays", c'est plus que ça, faire la promotion de la souveraineté. Les gens s'attendent à plus que ça. Il faut le faire correctement, comme le Bloc le faisait dans le passé. »

Je disais en entrée de chronique qu'il y a quelque chose de triste à voir le Bloc imploser. Je citais le professionnalisme des députés du Bloc, qui savaient porter des dossiers qui touchaient tous les Canadiens. Mais le Bloc était, parallèlement, le premier à monter au créneau pour mettre de la lumière sur les angles morts du fédéralisme, quand ceux-ci nuisent aux provinces, en particulier au Québec.

C'est pourquoi la débâcle du Bloc est d'autant plus triste : parce qu'elle survient à une époque où aucun autre parti ne porte avec force les intérêts du Québec au Parlement, à une époque où les voix québécoises dans un gouvernement pourtant dirigé par un premier ministre montréalais semblent désespérément timides.