Elle s'appelle Éliane Gamache Latourelle et pour des milliers de Québécois, elle était «La jeune millionnaire», titre du livre coécrit avec Marc Fisher qui a fait connaître son irrésistible histoire : millionnaire à 30 ans.

Selon le mythe, Mme Gamache Latourelle s'était bâti une fortune en achetant des pharmacies. Après le livre, suite logique, elle s'était lancée dans les conférences et dans le «coaching» personnalisé pour aspirantes à la richesse entrepreneuriale. À 5000 $ par année. Un autre livre a suivi, La jeune millionnaire en affaires.

Tout cela n'était que placebo, pour rester dans le domaine de la pharmacologie : Nathalie Petrowski a exposé hier dans La Presse les mirages planant sur l'histoire de «la millionnaire». 

Disons que beaucoup de gens ont expliqué pourquoi Mme Gamache Latourelle était un mauvais modèle à suivre pour devenir riche.

Après avoir lu l'enquête de Nathalie Petrowski, on peut penser que c'est une histoire de manipulation. On peut penser que c'est une histoire de poissons qui se sont fait plumer par une enquiquineuse. C'est probablement vrai.

Mais c'est aussi une histoire de confiance.

Je parle de la confiance nécessaire pour tisser toute forme de relation humaine, d'abord.

Avec des gens qu'on connaît, ou pas.

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La revue National Geographic a publié en 2017 un dossier fascinant sur le mensonge, tout le spectre des mensonges, de ceux que disent les enfants aux mythomanes qui en font le socle de leurs vies inventées : Why We Lie: The Science Behind Our Deceptive Ways.

Extrait : «Une grande partie de la connaissance que nous utilisons pour appréhender le monde nous vient de ce que les autres nous ont dit. Sans la confiance implicite que nous plaçons dans la communication humaine, nous serions paralysés comme individus et cesserions d'avoir des relations sociales.»

Traduction, selon le magazine, qui a interviewé des menteurs - fraudeurs, espions, champions de poker - et des experts de la psyché humaine : nous sommes programmés pour faire confiance, parce que dans le grand ordre des choses, c'est «payant» de faire confiance à autrui... Mais, partant de cela, nous sommes aussi intrinsèquement vulnérables à nous faire rouler dans la farine.

Si nous étions suspicieux d'autrui à chaque seconde, nous ne serions pas humains. Évidemment, ce bogue de la psyché humaine permet aux enfirouapeurs d'aller à la pêche. Sissela Bok, éthicienne à Harvard, citée dans le National Geographic : «Mentir est une façon plus facile de prendre de l'argent à quelqu'un que de lui taper sur la tête.»

Alors, ces gens qui ont payé 350, 500 ou 5000 $ à Mme Gamache Latourelle pour avoir accès à ses conseils, ils lui faisaient confiance. Pourquoi lui faisaient-ils confiance?

Je reviens à la phrase du National Geographic : «Une grande partie de la connaissance que nous utilisons pour appréhender le monde nous vient de ce que les autres nous ont dit.»

Alors, dans le cas de la pharmacienne millionnaire, on lui faisait confiance parce qu'il y avait des livres qui parlaient de son succès financier. L'éditeur avait bien dû vérifier les dires de son auteure... Et Marc Fisher! Le super auteur à succès Marc Fisher avait dû faire son enquête... Non?

Il y avait des centaines de personnes aux conférences de la jeune femme : ces gens-là ne pouvaient pas tous être cons... Non?

Et les médias en parlaient! On la voyait à la télé, on l'avait lue dans le Journal de Montréal, La Presse avait filmé une entrevue avec elle, ces médias devaient bien avoir vérifié les prétentions d'Éliane Gamache Latourelle... Non?

Non, ils faisaient confiance à l'éditeur...

Ainsi fonctionne la confiance chez les humains : à la référence, si je puis dire. Ça marche la plupart du temps.

Mais des fois, la propension à faire confiance est utilisée à mauvais escient. Pourquoi Bugingo était-il invité dans les médias? Parce qu'il était invité dans les médias. Alors les médias l'invitaient.

C'est le chien qui court après sa queue, bien sûr. Et quand on se met à vérifier, quand on fouille, on découvre que le chien n'a pas de queue, qu'en fait, c'est même pas un chien, c'est juste un autre fabulateur comme il en existe des milliers d'autres depuis des centaines d'années...

La première recension du proverbe «A beau mentir qui vient de loin» date de... 1694.

Loin, c'est relatif, de nos jours.

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C'est l'auteur québécois Marc Fisher, le champion du genre littéraire guide-qui-explique-comment-atteindre-le-succès-et-sa-cousine-la-richesse, qui a fait de Mme Gamache Latourelle une star, en cosignant avec elle La jeune millionnaire.

Sur la page couverture de La jeune millionnaire : «UNE HISTOIRE VRAIE». En lettres majuscules, en plus. Les majuscules, c'est plus vrai.

M. Fisher est le premier maillon de la chaîne de confiance que ne méritait pas sa «jeune millionnaire» pour se poser en exemple de succès en affaires capable d'inspirer autrui.

Il disait hier à Denis Lévesque de LCN que c'est lui qui avait insisté pour capitaliser sur le mot «millionnaire» pour ce livre qui expliquait le succès d'Éliane Gamache Latourelle.

Mais millionnaire, millionnaire comment...?

On ne sait pas trop. M. Fisher ne semble pas s'être transformé en juricomptable pour contre-vérifier le conte de fées de la pharmacienne à succès dont il a coécrit le bouquin qui a lancé l'infrastructure conférences-coaching de Mme Gamache Latourelle.

Je souligne en terminant que «Marc Fisher» n'est pas le vrai nom de celui qui a propulsé Éliane Gamache Latourelle. Il s'appelle Marc-André Poissant.

Poissant, Fisher...

On dirait bien que l'homme qui vendait des frigidaires aux poissons est, cette fois, le poisson de l'histoire de la «millionnaire».