Hier, le premier ministre du Canada a profité de la Journée mondiale de la liberté de la presse pour souligner le travail « essentiel » des journalistes, ici et ailleurs dans le monde.

Je cite Justin Trudeau : « Le Canada poursuivra ses efforts visant à encourager le dynamisme et la liberté de la presse ici et à l'étranger. »

M. Trudeau ne nommait aucun pays où « le dynamisme et la liberté » des journalistes sont menacés. Mais on sait les difficultés croissantes que rencontrent les médias, partout. Pensez Russie, pensez Turquie : pour contrôler la société, il faut contrôler ceux qui font métier d'informer.

Pour aider ces journalistes, les leaders politiques comme Justin Trudeau ne peuvent offrir que des mots. Ce n'est pas une panacée, mais ce n'est pas rien.

Au point de vue de la liberté de la presse, le Canada n'est pas la Turquie ou la Russie. Mais le Canada n'est pas le « plusse meilleur pays au monde » non plus. Au contraire, il régresse : le Canada a dégringolé de quatre places dans le classement annuel de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF). Nous sommes passés de la 18e place en 2016 à la 22e, cette année.

Pourquoi ?

Parce qu'en 2016, l'État canadien a continué à tenter de forcer un journaliste de Vice News, Ben Makuch, à donner à la police tout le matériel journalistique colligé pendant son enquête sur un djihadiste.

Parce qu'un journaliste de The Independent, Justin Brake, fait face à une peine de prison pour avoir couvert une manifestation d'autochtones protestant contre un projet hydroélectrique, à Terre-Neuve.

Parce qu'en 2016, il fut révélé que la police québécoise espionnait de façon quasi routinière des journalistes, depuis des années, dans l'espoir de débusquer les sources d'histoires embarrassantes pour le pouvoir politique et syndical, ainsi que pour des services de police.

Et parce que le Canada se distingue aussi comme un des seuls pays industrialisés à ne pas protéger légalement la relation entre les journalistes et leurs sources confidentielles.

Pour toutes ces raisons, RSF a fait chuter le Canada au 22e rang de son classement annuel de la liberté de la presse, entre Samoa et la République tchèque.

Donc, sous la gouverne de Justin Trudeau, la liberté de la presse au Canada a reculé. Il n'y a pas de quoi être fiers.

Pour les journalistes qui, ailleurs dans le monde, font face à l'emprisonnement, à la violence et à la mort, Justin Trudeau ne peut à peu près offrir que des mots. Pour les journalistes canadiens, le premier ministre peut aller au-delà des mots : il pourrait agir.

D'abord, il pourrait décider que son gouvernement va appuyer le projet de loi S-231* du sénateur conservateur Claude Carignan, qui vise à donner une protection légale - allant au-delà des principes édictés par les tribunaux - à la relation entre les journalistes et leurs sources.

Ensuite, il pourrait décider de donner des directives claires sur ce que les agents de l'État canadien peuvent faire - et ne pas faire - quand ils ont à composer avec le travail journalistique.

M. Trudeau pourrait aussi de façon urgente décider de réformer la loi fédérale sur l'accès à l'information, une promesse électorale qui semble avoir été égarée au rayon des objets politiques perdus.

Une pause, ici, parce que j'entends les grognements de certaines personnes qui pensent que cette chronique est une chronique « pour » les journalistes, que la liberté de la presse est un enjeu « de » journalistes.

Je vais être direct : vous êtes dans le champ.

Un État qui protège légalement la relation entre les journalistes et leurs sources confidentielles, un État qui ne permet pas la criminalisation facile du travail journalistique, un État qui ne permet pas aux flics de fouiller impunément dans les bobettes des journalistes est un État qui permet les conditions pour que ses citoyens en sachent le plus possible à propos des enjeux qui les concernent.

Plus il y a d'entraves au travail des journalistes, moins les citoyens peuvent espérer avoir un portrait complet des enjeux de société qui les touchent. 

Plus on attaque la relation entre les journalistes et leurs sources confidentielles, plus on diminue les chances que des personnes choisissent de révéler des informations qui éclairent les débats publics. Toutes les enquêtes journalistiques qui font changer des choses ont recours à des sources confidentielles, parce que la vérité est soluble dans les communiqués de presse officiels... Fin de la pause.

En campagne électorale, en 2015, Justin Trudeau a enjoint ses supporters à ne pas huer les journalistes lors d'un événement de campagne : « Dans ce pays, leur a-t-il dit, on respecte les journalistes... »

Le pire, c'est que je le crois, je suis certain que dans l'absolu, Justin Trudeau respecte le travail des journalistes. Mais le PM vit dans la fiction que le Canada est parfait, au chapitre de la liberté de la presse. Il a tort. Respecter l'idée du journalisme, c'est bien. Appuyer les conditions pour un journalisme mieux protégé, ce serait mieux...

Je cite Justin Brake, le journaliste terre-neuvien : « Quand vous parlez de liberté de la presse au Canada, monsieur Trudeau, vous parlez d'un idéal abstrait, pas de la réalité. »

Le Canada est 22e au monde dans le classement de RSF de la liberté de la presse, en baisse de quatre rangs par rapport à 2016. C'est indigne d'un pays comme le Canada, qui se veut une sorte de phare démocratique. Le premier ministre a le pouvoir de changer cela dès cette année. Parce que, pour emprunter ses propres mots, nous sommes en 2017.

* Le projet de loi a franchi la première lecture à la Chambre des communes, hier.

photo Colin Perkel, archives la presse canadienne

Ben Makuch